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•• Cette semaine sur Tënk

24 décembre 2021

Un conte d’après Noël

Voilà, c’est Noël. L’occasion idoine pour se (re)plonger dans des films et des contes. Ne dérogeons pas à la règle, et penchons-nous, avant d’évoquer des films, sur un conte : celui du Joueur de flûte de Hamelin. Transcrit par les Frères Grimm, ce récit certes sans neige – mais la neige à Noël, c’est comme la gauche au pouvoir, c’est un souvenir lointain – réunit des rats, des adultes avares et roublards et des enfants disparaissant aux sons d’un joueur de flûte. Un conte pour le moins trouble, ambigu et où la morale échappe. Car comme le souligne le réalisateur Arnaud des Pallières, en disparaissant sous terre, les enfants avaient-ils été puni pour la faute de leurs parents, « ou connaissaient-ils enfin un bonheur sans limites dans un monde débarrassé des adultes, à jouer et à danser aux sons d’une musique merveilleuse ? » (*)

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On ne le sait pas. Ce qu’on sait, c’est qu’il existerait une sequel (une suite, comme pour les meilleurs blockbusters) au conte, dans laquelle les enfants vivent encore sous terre. Ils y ont inventé une micro-société ayant des points communs avec la nôtre : on y trouve des routes – dont une, si longue que les enfants se demandent si elle ne les a pas précédés –, des maisons, des cinémas, des théâtres, des baignoires, des campagnes, etc.

À y regarder de plus près, il y a quelques différences. Pas besoin, en-dessous, de célébrer l’année de la femme, le patriarcat n’existant pas ; pas besoin de marquer au poinçon les oreilles des moutons pour en reconnaître le propriétaire, la propriété n’existant pas ; pas de magasins, tout le monde cultivant vignes et potagers pour en partager la récolte lors de longues fêtes. Même pas besoin de se battre pour le droit du travail, le travail étant inutile.

Néanmoins, il y a quelques problèmes : ni soleil, ni lune, ni étoiles. Pire : pour seule musique n’existe que l’obsédant pipeau, sur lequel les enfants sont obligés de danser. Et pour couronner le tout, ils ne vieillissent pas, ces enfants. Ils sont dans un présent permanent, sans possibilité d’avancer, d’évoluer, de changer. Alors, épuisés par leurs acouphènes, las de cet état de fête factice et éternel, certains décident de remonter à la surface. De quitter leur confort pour le néolibéralisme, la pandémie, la mort en mer quotidienne d’exilés, l’omniprésence de l’extrême-droite, la pollution, les inégalités et la mise à sac des services publics. Ils veulent se frotter à l’altérité, vivre plus intensément – avec tous les risques que cela comporte – ; ils espèrent se coltiner à la démocratie et ses possibles ; ils veulent réformer, non, mieux, révolutionner le monde là-haut et convaincre les adultes de leur emboîter le pas (et puis, aussi, de danser aux sons de violons, contrebasses, d’électro ou d’italo disco).

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Ce que sont devenus les enfants revenus à la surface et qui voulaient que tout change, l’histoire ne le dit pas. Peut-être, intimidés par l’ampleur de la tâche, ont-ils opté pour encore quelques jours de fêtes, avant de se lancer dans la construction de barricades ?

Ce que sont devenus les enfants demeurés en-dessous et qui voulaient que rien ne change, l’histoire ne le dit pas plus. Peut-être, en collant votre oreille au sol, les entendrez-vous ? Mais sont-ce toujours des chants et rires, ou le bruit des bottes a-t-il remplacé les pas de danses et les ordres scandés, les ritournelles ?

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Et Toi, lecteur, abonné, qu’aurais-tu choisi ? rester peinard en-dessous ou risquer au-dessus l’altérité, le mouvement ? À Tënk, face à l’incertitude de cette sequel, les débats font rage, la seule certitude étant l’expérience démocratique de la semaine : la programmation des films soumise au vote des abonnés. Vous avez été quelques cinq cent à choisir vos films préférés, entre les meilleurs courts métrages (La Guerre des centimes et Une fille de Ouessant) ; le film pour danser avec sa nièce (Latcho Drom) ; celui pour se remettre du réveillon (L’Âge d’or) ; celui pour débattre aux repas (Maso et Miso vont en bateau) ; et celui que vous avez toujours voulu voir (Route One/USA).

Chacun de ces films excède évidemment sa catégorie. C’est bien là le propre du cinéma d’ouvrir à d’autres regards, paroles, récits, paysages, histoires, positions politiques. De la désignation impeccable de l’exploitation contemporaine dans La Guerre des centimes à la poésie lyrique d’Une fille de Ouessant ; de l’énergie puissante de Latcho Drom à la verve féministe pertinente de Maso et Miso vont en bateau ; et de la douce plénitude de L’Âge d’or à Route One/USA qui embranche sur l’histoire d’un pays par sa géographie, tous ces films invitent au mouvement.

Alors bonne semaine, et bons films !

(*) Arnaud des Pallières, Disneyland, mon vieux pays natal, France, 2001 (disponible en Vod).