Les étourneaux n’ont pas de leader. Et ils se déplacent en groupe avec une cohérence admirable. Leurs “murmurations” – ces fameuses nuées denses et mouvantes qu’ils forment en vol – ont leur logique propre, et chacun des oiseaux navigue en lien étroit avec ceux qui l’entourent. S’il y avait un meneur, s’il y avait un manager, le mouvement du groupe en serait beaucoup moins efficace (pour effrayer les prédateurs, pour les éviter, ou pour gober les insectes). Si l’on peut raisonnablement douter de leur volonté esthétique, il n’en demeure pas moins que les humains trouvent dans leurs déplacements une grâce infinie, une poésie immédiate.
Nous programmons cette semaine, en partenariat avec Ty Films, une Escale consacrée à la grâce des étourneaux. Ou, pour le dire autrement : une Escale qui réunit des films réalisés à plusieurs, en groupe, en collectif… en nuées ? Son titre est sobre : Films et collectifs.
Voilà des documentaires qui remettent en question l’apparente évidence selon laquelle un film serait forcément l’œuvre d’un seul et unique créateur. Lisons ce qu’en disent Maxime Moriceau et Hortense Lemaitre, qui ont rédigé le texte de cette Escale : “À Ty Films, nous avons la conviction qu’un film ne se réalise jamais seul. Il est toujours le fruit d’un travail collectif, la rencontre entre un·e ou plusieurs auteur·ices et une équipe. C’est par l’échange, le croisement des regards et des manières de penser le cinéma, qu’émergent des formes nouvelles, des œuvres originales et singulières. Nous sommes également persuadé·es qu’il existe une infinité de manières de réaliser des films documentaires. Faire le choix de porter un film à plusieurs, c’est défendre une vision collective du travail. C’est aussi nous faire sortir du mythe de l’auteur·ice comme seul·e créateur·rice de son œuvre et peut-être redessiner la place de l’ensemble des participant·es au processus créatif.”
Le choix d’une réalisation collective n’est pas anodin, politiquement. La plupart des films que nous vous proposons sont ainsi partie prenante des combats qu’ils filment, et certains en sont même devenus aujourd’hui des symboles. Que ce soit le Collectif Les Insoumuses avec S.C.U.M. Manifesto ou le groupe Medvedkine de Besançon avec Classe de lutte, en passant par Loin du Vietnam, signé par les plus grands noms du cinéma français des années 60-70, ils ont marqué l’histoire du cinéma par l’invention de nouvelles manières de faire : on signe de plusieurs noms ou d’un nom commun, il n’y a pas de haut de l’affiche.
Aujourd’hui encore le collectif s’invente. Il y a la lutte de paysans du Tarn dans Anomalies, réalisé par le Collectif Les Scotcheuses, qui se décrit notamment ainsi : “Malgré les difficultés, nous avons réussi à inventer une façon de faire un cinéma horizontal et partagé, où les hiérarchies et les divisions du travail sont toujours remises en cause.” Il y a La Bataille de la Plaine, fruit d’une écriture à plusieurs mains, qui “montre le travail collectif effectué et les diverses interrogations qui traversent les réalisateur·ices. Quelle place pour chacun·e ? Comment se répartir les différents rôles et permettre des changements dans l’équipe ?”
Se regrouper, c’est aussi être plus forts et se défendre pour pouvoir témoigner. C’est le cas des réalisateurs et cadreurs de Still Recording, qui filment la guerre en Syrie au plus près, au péril de leurs vies.
Enfin, le collectif c’est aussi la troupe. Une dynamique de création propre au spectacle vivant que Mad in Finland applique au cinéma. “Faire du cinéma comme on fait du cirque”, voilà la belle ambition de ce film à l’énergie finlandaise, féminine et foutraque, qui allie courses en forêts, baignades en caravane, trapèze et capilotraction. La poésie, quoi. La poésie collective, lorsque les idées fusent et qu’on navigue ensemble, en lien étroit avec ceux et celles qui nous entourent.
Bons films !