Elle marche dans la rue et les hommes se retournent sur elle, l’œil curieux, l’œil goguenard, l’œil intrigué. Elle raconte ses rêves, son quotidien, son désir de rencontrer un homme, de se marier, de « se poser ». Elle est accompagnée par des chansons d’amour plus ou moins heureuses. Et elle dit : « I’d like to live a happy life ». « J’aimerais vivre une vie heureuse », donc. Ce n’est déjà pas donné à tout le monde, mais certainement encore moins à une femme trans noire aux États-Unis en 1966. Elle vit sa vie, en tout cas, dans Behind Every Good Man, qui montre par petites touches sa quête de reconnaissance, et d’amour, et de fierté.
Fier·ère·x·s, c’est précisément le titre de notre Escale de la semaine. Et son sous-titre poursuit : « Utopies incarnées ». Car c’est par l’engagement des corps – de la chair – que passe la lutte pour la visibilité. C’est par l’engagement des individus que des communautés dites « minoritaires » parviennent, dans un monde hétéronormatif, à se faire une petite place dans les yeux et les esprits d’une partie, idéalement toujours grandissante, de la société. À l’image de la protagoniste de Behind Every Good Man arpentant, souriante, les rues de Los Angeles, les personnes qui peuplent les films de cette Escale choisissent de ne pas se cacher. Ou plutôt : elles choisissent de se montrer.
C’est dans la lutte, le spectacle et la franche affirmation que se jouent les films que nous vous proposons. Au-delà du strict combat politique et social, ils montrent aussi combien la mise en scène de soi et de son identité se révèle cruciale. Et c’est pas triste ! Lysa Heurtier Manzanares et Aurélien Marsais, membres du comité de programmation de Tënk, qui ont conçu cette Escale, écrivent : « nous voulions ici vous proposer des moments de joie, de puissance créatrice, d’amour, de douceur et de désirs, qui déplacent les normes et défient l’ordre établi pour prendre place. »
Prendre place dans les rues de Los Angeles en 1966, donc. Mais aussi dans celles de San Francisco à la fin des années 90 : quand des travailleuses du sexe se mobilisent collectivement pour faire valoir leurs droits (et au passage choquer le passant en lui mettant sous le nez ce qui devrait absolument rester caché) dans Live Nude Girls Unite !
Prendre place bien franchement et frontalement, sur scène, avec Linn da Quebrada dans Bixa Travesty : « je voudrais qu’en me voyant tout le monde sache que je ne suis pas un homme, sans savoir exactement ce que je suis ». Linn, qui résiste au machisme brésilien, bille en tête, avec sa complice Jup do Bairo : « sur scène elles conçoivent leur musique comme une arme à déplacer les termes établis, nous enjoignant à nous entarlouzer avec elles pour contrer les hommes dominants » écrit Lysa Heurtier Manzanares !
Et si ce n’est pas sur scène, si ce n’est pas devant un public de chair et d’os, cela peut être sur Internet, dans une fenêtre vidéo offerte au monde entier. Coming Out rassemble des vidéos de jeunes gens se filmant au moment où ils annoncent à leur entourage leur orientation sexuelle non-hétéronormée. Des moments de peur, l’attente de la réaction des parents, qui ne tarde jamais à venir ; parfois d’une violence inouïe, et parfois pleine d’amour…
Prendre place, enfin, dans les forêts du mont Circé, en compagnie des nymphes et des dieux. Metamorfosi est un film-poème qui conte des histoires de transformation des corps inspirées des Métamorphoses d’Ovide. Et les personnages – Diane, Callisto, Hermaphrodite… – sont tous ici interprétés par des personnes trans. Et lorsqu’elles se mettent à raconter avec leurs propres mots leurs propres histoires, amours, sexualités, l’émotion émerge du plus profond des mythologies, autant que des trajets individuels. Il y a de la violence dans la vraie vie, il y en a dans les mythes. Et il y a une grande beauté, une « douceur chuchotante » dans le film de Yanira Yariv…
Bons films !
Et pour lire le texte de l’Escale, c’est ici !