“Le noir est antérieur à la lumière. Avant la lumière, le monde et les choses étaient dans la plus totale obscurité. Avec la lumière sont nées les couleurs. Le noir leur est antérieur. Antérieur aussi pour chacun de nous, avant de naître, « avant d’avoir vu le jour ». Ces notions d’origine sont profondément enfouies en nous. Est-ce pour ces raisons que le noir nous atteint si puissamment ?” *
Jusqu’à 102 ans le peintre Pierre Soulages a peint “l’outrenoir”, dans lequel il sculptait la lumière, son absence et ses reflets – “cette lumière secrète venue du noir.” Si bien que, quelques jours après sa mort, on ne saurait quelle couleur adopter pour porter le deuil. En faisant du noir une couleur vivante, organique et profonde, Soulages a tordu le cou aux conventions sociales et aux clichés de vocabulaire – noir c’est noir, certes, mais il reste de l’espoir.
Nous allons nous aussi, cette semaine, chercher le relief et la lumière dans ce qui pourrait être sombre : la mort, c’est censé être noir, oui. Demandons-nous : quelles couleurs y a-t-il “après avoir vu le jour” ? Et comment les montrer ? Et comment les vivants voient-ils les morts ? Et vice versa, peut-être ? Voici donc une Escale consacrée à la mort : Demain ne meurt jamais !
Mais si demain ne meurt jamais, il se trouve que nous ne pouvons pas en dire autant. Nos partenaires de l’association À bientôt j’espère, qui ont réuni les films de l’Escale, se demandent d’emblée : “On peut tirer le diable par la queue, mais par quel bout attraper la mort ?”. C’est que le sujet est délicat : il est en même temps un lieu commun rebattu et une énigme métaphysique ultime. Alors, écrivent-ils, “plutôt que de se heurter, de front, à un froid monument de marbre, c’est un dialogue que nous avons choisi de mettre en avant, un dialogue entre sept films, qui commence ici, continue là, et se poursuit de l’autre côté de l’écran, dans l’intimité des spectateur·rices”. Une sorte de cadavre exquis, en somme.
Nous vous invitons donc à faire ce grand voyage, de film en film. La mort y est parfois objet de mémoire, qu’on invoque à cheval dans les grandes et froides plaines du Dakota (The Ride) ou bien en discutant entre anciens fossoyeurs chiliens (El Patio). Elle est bien présente, bien au présent, dans les rues de Cincinnati (Bodycam), dans les plaines tibétaines (Le Rappel des oiseaux) ou sur les côtes de l’Île de Sein (La Mer et les jours). Elle est l’aboutissement d’une vie vécue qu’on tente de raconter en tricotant (Vieille Femme à l’aiguille). Ou bien, pour le dire autrement, l’abandon ultime de toutes celles qu’on aura jamais vécues ? (Quand je serai dictateur)
Bonne exploration, et bons films !