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•• Cette semaine sur Tënk – À n’y rien comprendre

26 mai 2023

Jean-Luc Godard accompagne ses mots avec des gestes de ses bras : « J’ai pas toujours envie de faire ça ! J’ai envie à des moments de faire ça ou ça mais pas toujours ça ! Mais ça se fait jamais ça, c’est toujours ça, ou ça. Alors nous on fait l’angle. Parce que ça, t’as ça, tu fais ça, là, ou tu fais ça, pis t’as un début, j’sais pas, t’as un début d’angle ! »

Qui mieux que Godard pouvait nous embrouiller la tête pendant le festival de Cannes ? Nous vous proposons de retrouver le cinéaste dans un épisode de la série Six fois deux, sur et sous la communication, réalisée avec Anne-Marie Miéville : c’est l’Épisode 2b : Jean-Luc. Où un Godard en t-shirt parle d’images, de télévision et de cinéma. Où, surtout, la parole a cette richesse rare : elle s’invente in situ, elle n’est pas préfabriquée, elle se perd, elle nous perd, elle est une perpétuelle création.

« Les gens se prennent pour des nombres entiers, ils pensent qu’ils sont libres, ils pensent qu’ils savent parler ». Dit-il.


Deux films de notre programmation de la semaine sont passés par Cannes, plus précisément par la toujours pertinente sélection ACID.

Soy Libre y fut projeté en 2021. Tourné sur plus de dix ans, il raconte la quête d’émancipation d’Arnaud, petit frère de la réalisatrice, coincé dans ses déterminismes sociaux. Mais il raconte aussi – et surtout – la relation entre elle et lui, entre filmeuse et filmé, faite de confrontations qui s’expriment dans et par le film. Arnaud, résistant, ne se laisse pas filmer comme ça. Il fait aussi ses propres images avec sa propre caméra, histoire de ne pas se laisser définir. Histoire de montrer aussi son propre regard, de garder un pouvoir sur sa vie. Et le film de Laure Portier, réalisé dans cette sorte d’horizontalité, devient un magnifique hommage à son frère et à sa quête de bonheur et de liberté.

Kongo date d’un temps antécovidien : l’ACID Cannes 2019. On y suit, au Congo, l’apôtre Médard dans sa pratique de guérisseur. Il invoque, il incante, il tente de chasser les mauvais sorts. Il négocie tous les jours avec des forces invisibles et pourtant bien à l’œuvre. Sorcier, Médard ? C’est en tout cas ce dont il est accusé par un tribunal coutumier… Le film ne cherche pas à tout nous expliquer de ce qui échappe à nos regards occidentaux. Il propose plutôt d’accepter d’autres vérités : « Appel à décoloniser la pensée, selon les mots d’Olivier Barlet, Kongo est décapant. Il ne nous offre pas de nous reconnaître dans ce qu’il nous montre. Il ne l’exotise pas pour autant. » Passionnante question que celle de la décolonisation du regard, à propos de laquelle Kongo a fait débat lors de ses premières projections publiques ! *


S’il s’agit de ne pas comprendre, s’il s’agit de fantômes et de plongées dans les vies antérieures, voici Black Hole – Pourquoi je n’ai jamais été une rose. C’est à Calcutta, cette fois-ci. Et tout comme Kongo, c’est une coréalisation entre un anthropologue et un cinéaste tourné vers l’expérimental. Le film montre d’un côté des patients sous hypnose tentant d’explorer leurs vies antérieures pour apaiser leurs vies présentes. De l’autre, des chasseurs de fantômes qui enquêtent dans des maisons délabrées… Black Hole devient alors lui-même une sorte de séance d’hypnose, plongeant dans la complexité de l’inconscient indien – et notamment de son passé colonisé…

Finissons avec Voukoum – Prix Sacem du meilleur documentaire musical en 2012 – direction Guadeloupe ! Ce sont des milliers de personnes qui se réunissent pour du tapage, du tumulte, du charivari dans les rues. C’est de la musique et de la danse. “On ranime les forces primitives, on invoque les esprits, réactive ce qui donne la force.” Et on fait la grève, même ! Car la résistance civique passe ici par la culture, l’expression du corps et de l’âme à travers la musique. La révolte passe par l’identité commune, par la mémoire collective, et par les ancêtres qui eux aussi participent : les fantômes, avec nous dans la rue !


Il s’agit de ne pas comprendre, oui. Alors pour finir, nous vous laissons méditer un peu sur du Jean-Louis Murat :

« Vous nous aurez mashpotétifiés / Bien tous mash-po-po-disposés / Du bon boulot gougnafiers / Allez twist à St Tropez / Nous v’là tous bien ringarnisés / Limite endalidanifiés / Du bon boulot gougnafiers / Allez twist à St Tropez »

Bons films !

* Voir l’article d’Olivier Barlet au sujet du film sur Africultures.