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•• Cette semaine sur Tënk – Making of

17 février 2023

Plaçons une toile de Rembrandt (par exemple) sous un appareil de radiographie. Flashons. Nous verrons apparaître sur la table lumineuse toutes sortes de détails invisibles au commun des spectateurs. Des détails en profondeur. Nous en saurons davantage sur les coups de pinceau, les tentatives, les repentirs, mais aussi sur la matière de la toile, sur l’essence du bois de sa structure, ou encore sur la possible présence d’insectes xylophages. Reconstituer la création d’une peinture est un travail de chercheur et d’historien : il permet de se figurer a posteriori la démarche et la technique de l’artiste. Le cinéma n’était pas totalement au point au 17e siècle, et c’est bien dommage : on aurait beaucoup, beaucoup aimé voir Rembrandt tâtonner.

Mais alors nous en avons de la chance, nous qui nous intéressons à la création des films ! La Palice ne nous contredira pas : la plupart des cinéastes ont tourné leurs films alors que le cinéma était déjà inventé. La création de leurs œuvres est donc directement documentable par le cinéma même ! CQFD : les making of peuvent exister !

Nous consacrons donc la programmation de cette semaine à une Escale Making of. Six films programmés par les membres de notre comité, qui s’intéressent à la « fabrication de » ! Et autant le dire : il y a là des films exceptionnels. Justement parce qu’ils montrent les hésitations et les repentirs. La recherche permanente. La manière dont on se creuse la tête. La manière dont on se prend la tête. La joie et les embrouilles. La chance et la scoumoune. Six films sur des films de grands cinéastes aux envies et aux méthodes très diverses. C’est le patient (et parfois un peu moins patient) travail de Jacques Doillon avec son incroyable actrice de 4 ans, Victoire Thivisol, dans Jouer Ponette. C’est le tournage de Yaaba de Idrissa Ouedraogo filmé avec grande poésie par Djibril Diop Mambéty dans Parlons Grand-mère. Ce sont aussi les grandes conversations entre Chantal Akerman et Delphine Seyrig sur le plateau de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, dans Autour de Jeanne Dielman, de Sami Frey.

Et les films, c’est aussi de la musique ! Nous avons le plaisir de vous présenter pour la toute première fois un document entièrement inédit dont il n’existe que quelques dvd rangés sur les étagères des membres de l’équipe de Route One/USA de Robert Kramer : La Route de Barre. Où Robert Kramer filme les répétitions et l’enregistrement de la musique de son film, en compagnie des musiciens Barre Phillips, Michel Petrucciani, Pierre Favre et John Surman. Et c’est notre programmateur Daniel Deshays, qui figure dans le film en qualité d’ingénieur du son, qui nous a fait le plaisir de le dégoter dans ses rayonnages !

Enfin, il y a les films dont la radiographie fait clairement apparaître les insectes xylophages, ceux-là qui grignotent tranquillement les fondations et risquent de tout faire s’effondrer. Deux tournages épiques, grandiloquents, deux réalisateurs qui cherchent à tout prix à se convaincre que la réalité du monde pourra se plier à leurs rêves de créateurs.

Werner Herzog tourne Fitzcarraldo dans la forêt amazonienne : n’avait-il pas prévu qu’il serait relativement compliqué de hisser un bateau de centaines de tonnes en haut d’une colline ? Comment s’imaginait-il collaborer avec les populations autochtones ? Connaissait-il la définition de « dysenterie amibienne » ? Vous le saurez en regardant l’incroyable, fou, légendaire et choquant Burden of Dreams de Les Blank.

Et Terry Gilliam, lui, qui commence en 2000 le tournage d’un film, L’homme qui tua Don Quichotte, qui ne sortira qu’en… 2018 ! (Et encore : dans une version totalement différente). Lost in La Mancha relate les rebondissements malheureux d’une entreprise tellement cauchemardesque pour le réalisateur et la production qu’elle en est presque drôle. Ou comment un tournage tourne au chaos. Et comment les rêves pourtant formidablement solides du réalisateur doivent bien un jour se frotter à la rêche réalité et se faire une raison : l’orage est tout simplement trop fort et la boue fait patauger, ne faudrait-il pas laisser à Don Quichotte ses illusions ?

Bons films !