Le 3 novembre 1957, Laïka, petite chienne errante moscovite, est envoyée dans l’espace à bord du Spoutnik 2, devenant ainsi le premier être vivant à quitter l’atmosphère terrestre. D’après une légende, son esprit serait retombé comme une comète sur la Terre et errerait depuis dans les rues de Moscou. Levin Peter et Elsa Kremser adoptent dans la ville le point de vue de deux chiens qui pourraient bien être ses descendants. Comme l’écrit Olivia Cooper-Hadjian, « tandis que leurs ancêtres furent mis au service de rêves de grandeur typiquement humains, les héros canins de Space Dogs entreprennent une conquête plus humble : celle d’un espace vivable dans une ville qui n’est pas conçue pour eux. » Le film ne cherche pas à plaquer sur eux un récit anthropocentré, mais « restitue un peu de leur rapport à l’espace, au temps, et accessoirement aux humains (…). Rendus à une existence sauvage, à l’écart de nos désirs, ils vivent entre eux et pour eux-mêmes. Aux êtres exploités et sacrifiés pour la conquête spatiale, parmi lesquels on compte aussi un chimpanzé et deux tortues, le film rend le plus bel hommage qui soit : il préserve leur opacité. »
Quittons les rues de Moscou et revenons à hauteur d’humains pour explorer des quartiers malgache et italien, auprès de celles et ceux qui luttent pour y vivre.
Dans Gwetto, Michaël Andrianaly filme dans son quartier de Tamatave Jeco, Justin, Rabetsy et Mamy, des jeunes hommes qui travaillent nuit et jour dans une station de lavage de voitures. Exploités par leur patron et discriminés par les habitant·es, le cinéaste pose un autre regard sur ces jeunes, victimes d’un contexte économique catastrophique et de la violence de la société à leur égard. Dans cet environnement, la fraternité et la solidarité qu’ils construisent entre eux leur permet de survivre, et Gwetto offre aussi un récit de liberté et d’espoir d’un avenir meilleur. Un film soutenu par Tënk lors de sa production.
De jeunesse et d’avenir, il est également question dans notre coup de cœur de la semaine, Punta Sacra. En bordure de Rome, à l’embouchure du Tibre, le petit quartier d’Idroscalo di Ostia avance dans la mer. Francesca Mazzoleni y filme le malaise d’une communauté prise en étau entre le droit d’y vivre et d’y rester, et le désir de fuir, dans un contexte de lutte politique et environnementale. La nouvelle génération qui y grandit souhaite se défaire des combats dont elle hérite, pour se tourner vers l’avenir. Dans ce petit théâtre de la résistance, dans les pas de Pasolini, la cinéaste offre une déclaration d’amour et de fraternité aux dernier·es résistant·es.
Enfin, découvrez cette semaine un Tours, détours, consacré à l’Iran. Il y a quelques jours, le 28 octobre, Armita Garavand, une lycéenne iranienne d’origine kurde de 16 ans, est décédée. Elle avait passé vingt-huit jours dans le coma, après une agression de la police des mœurs dans le métro de Téhéran. Cet événement tragique fait écho à la mort en détention, il y a un peu plus d’un an, de Masha (Zhina) Amini, après avoir été arrêtée par la police des mœurs. Les soulèvements qui ont suivi ont pris, durant des mois, une ampleur considérable à travers le pays, réclamant, sous le slogan repris au mouvement national kurde « Femme, Vie, Liberté », la fin de la République Islamique.
Narges Kahlor, dans le très court métrage Sensitive Content, explore les vidéos de ces soulèvements postées sur les réseaux sociaux, dont le « contenu sensible » est flouté par les plateformes. Derrière le petit œil barré qu’elles affichent en guise d’avertissement, ce sont des manifestant·es violenté·es par les forces de l’ordre, images auxquelles la cinéaste redonne une visibilité, tout en rendant hommage aux témoins qui ne détournent par le regard, et documentent les événements au risque de leur vie.
Car la répression dont fait preuve l’État iranien est sans commune mesure. À ce jour, et depuis le début des manifestations de 2022, plus de cinq cent manifestant·es ont été tué·es, et des milliers emprisonné·es.
Treize ans auparavant, en 2009, un soulèvement populaire avait déjà agité l’Iran, suite à la réélection du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, accusé de fraude électorale.
Le film de Sanaz Azari, Salaam Isfahan, se passe à la veille de ces élections, en juin 2009. La cinéaste revient à Isfahan, où elle est née. De l’espace public de la rue à l’espace privé des maisons, des Iranien·nes se laissent prendre en photo par la cinéaste. Au travers du dialogue engendré par la séance photo et de leur façon de se mettre en scène, les personnages se révèlent et une question émerge. Quelles sont les limites spatiales et morales de l’autorité d’un régime?
L’histoire des soulèvements populaires iraniens ne saurait se réduire à la période allant de 2009 à 2022. Bani Khoushnoudi prend comme point de départ les manifestations du « mouvement vert » de 2009 dans son chef-d’œuvre The Silent Majority Speaks, qui fut d’abord diffusé de manière clandestine sous le pseudonyme “The Silent Collective” (le collectif silencieux). Son film revient sur un siècle d’oppression et de révolte, interrogeant la communauté, l’autorité, le patriarcat, la mémoire et la répétition à travers l’histoire iranienne et les images qui ont servi à la construire, dans leurs puissances léthales, autant qu’émancipatrices. The Silent Majority Speaks propose une analyse politique nécessaire, et ajoute sa pierre à l’édifice d’une mémoire collective.
Bons films !