L’ordre républicain, ça consiste principalement à mettre en place des dispositifs policiers pour mater les jeunes gens lorsqu’ils cassent des choses. C’est en tout cas la position du ministre de l’intérieur français en 2005, Nicolas Sarkozy, lorsque des émeutes éclatent dans certaines zones de banlieue suite à la mort de deux adolescents. Deux ans auparavant, lors d’une visite à Toulouse, le non-encore président de la République avait affirmé les missions de la police : investigation et interpellation. Exit la notion de “police de proximité. “Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux”, avait-il dit – mais les mots sont intéressants, n’est-ce pas ? “Voyou” est aussi un mot intéressant. Les “gentils” et les “méchants” du ministre actuel également. Des manières volontairement simplistes de réduire la réalité. Il serait important de s’intéresser au mot “violence”.
Kindertotenlieder, le court métrage de Virgil Vernier qui retrace les événements de 2005, met en écho certaines prises de parole du monsieur en question avec d’autres images prises par les télévisions dans les quartiers concernés. Uniquement constitué de ces rushes aux sons bruts, le film remet en évidence une certaine notion du maintien de l’ordre qui jusqu’aujourd’hui ne cesse de maintenir le désordre républicain…
Ce film fait partie de la sélection officielle des César du meilleur court métrage documentaire. 12 films qui ont été choisis par un comité auquel Tënk a participé, parmi lesquels les membres de l’Académie des César ont été invités à en choisir 3 pour la cérémonie.
Churchill, la ville des ours polaires fait partie de ces 3 élus ! Notre coup de cœur de la semaine est un film tout en neige dans le nord du Canada. Dans cette petite ville, Churchill, où les ours, en raison des bouleversements climatiques, restent de plus en plus longtemps aux abords du bourg, et même, parfois s’aventurent vers les habitations. Les humains, pas fous, savent en tirer profit ! Et c’est toute une marchandisation de la curiosité qui se met en œuvre, dans toute son absurdité.
Troisième film de notre sélection César : Character, de Paul Heintz. Une sorte de jeu à la Oulipo, qui consiste à partir à la recherche des Winston Smith résidant à Londres. Winston Smith ? C’est le nom du personnage du roman 1984, de George Orwell. Se peut-il qu’ils aient quelque chose en commun avec celui qui osa se révolter contre Big Brother ?
Dans 1984, Winston Smith travaillait au Ministère de la Vérité, chargé de réécrire l’Histoire en fonction de la ligne du parti. Big Brother est de fiction, mais il y a eu Ion Antonescu ou Nicolae Ceaușescu. Et il y en a d’autres. Les films de Radu Jude, à qui nous consacrons un Fragment d’une œuvre, s’intéressent à l’Histoire de son pays, la Roumanie. Et notamment, précisément, à l’écriture et la réécriture de cette Histoire.
Elle est explicitée, cette réécriture, dans le travail de “comparaison” que produit Radu Jude dans le court métrage Les Deux Exécutions du maréchal. Dix minutes pendant lesquelles sont confrontées des images d’archives muettes de 1946 représentant l’exécution d’Antonescu, allié d’Hitler, et celles, “reconstituées”, d’un film de 1994. La fictionnalisation devient l’outil d’une héroïsation “crasse”, estime Caroline Châtelet : “Quand la “reconstitution historique” devient falsification et sert une vision de l’Histoire romancée éminemment suspecte…”
Tara Moarta (The Dead Nation) libère, lui, un pan d’Histoire du pays. Celui de l’antisémitisme roumain – le rôle du pays dans la Shoah ne fut reconnu qu’en 2004 par les autorités mais davantage par intérêt politique que par une quelconque vertu. Ce sont les années 30 qui se racontent, à travers le journal d’un médecin juif mis en regard de documents photographiques et archives patriotiques de l’époque.
Enfin, direction Nicolae Ceaușescu (dont les plus âgés, voire les moins jeunes d’entre nous se rappellent les images de l’exécution en quasi-direct en 1989). Dans une mise en scène inspirée d’une pièce de théâtre préexistante, Tipografic Majuscul raconte l’histoire vraie d’un jeune homme, Mugur Călinescu, qui, en réaction à l’Histoire officielle, décida d’écrire des messages critiques du régime en lettres majuscules sur les murs… jusqu’à son arrestation, inévitable, par la Securitate…
Majuscules ou non, les mots ont du pouvoir.
Bons films !