Monique, Thérèse, Marie-Noëlle, Marie-Dominique, Geneviève, Jacqueline et Annie : oui, elles sont françaises et elles n’ont pas 20 ans. Et elles sont religieuses. Dans En communauté (en ligne demain), on les suit dans un moment critique : celui de quitter le monastère qu’elles ont toujours connu. Elles sont attachantes, toutes ! Libres et indépendantes, et tellement loin de tous les clichés qu’on pourrait parfois mettre sous le mot « religieuses » ! « Il faut décaper, dépoussiérer le religieux pour qu’il soit vrai et à l’écoute de l’esprit qui souffle où il veut quand il veut » écrit joliment Éléonore Fédou dans son « avis de Tënk ». Voilà un beau coup de cœur plein d’humanité pour commencer cette semaine consacrée aux films présentés cette année aux États généraux du film documentaire de Lussas.
Le personnage d’Ours s’appelle Urs. Urs est un passionné des ours. Il les filme à longueur de temps. Il a amassé tant et tant de rushes qu’il a fait appel à une école de cinéma pour trouver une personne capable de les monter, d’en faire un film, d’en faire quelque chose, quoi. Morgane Frund se propose. Et (pour aller vite) elle découvre que sur les bandes magnétiques il n’y a pas seulement des images d’ours. Il y a d’autres images filmées par cet homme, Urs, qui la choquent et la questionnent. Et pour répondre à ces questions, quoi de mieux que d’oser lui parler, à Urs ? Même si c’est gênant, même si c’est limite, même si ça rend le monde un peu plus compliqué que ne le ferait un procès ?
Joindre les Tatars à Instagram, c’est ce que fait le troisième film de la semaine issu de la sélection Expériences du regard 2023 : The Imaginary Tatars. C’est que la réalisatrice Anna Biriulina, d’origine tatare, se pose des questions sur une possible malédiction de sa famille. Peut-être serait-ce le démon Ubir ? Pour le savoir, elle décide de consulter un chaman, lui aussi exilé d’orgine tatare, qui officie sur Instagram. Il y a des tambours, des cérémonies à base de confiseries, des chevaux qui brûlent et d’impressionnantes images d’archives où le terrifiant démon se révèle enfin.
L’autre pan de notre programmation de la semaine est consacré aux réalisateurs Luis Ospina et Carlos Mayolo, tous deux membres d’un formidable mouvement créatif colombien des années 1970 nommé par la suite « Grupo de Cali ». Nourri par la culture populaire, les arts et les sciences sociales, ce groupe révolutionnaire voulait montrer la réalité brute de la Colombie, critiquant autant « la fiction papier glacé des films hollywoodiens et des télénovelas [que le] réalisme misérabiliste et néo-colonial du cinéma dit « engagé » européen et américain ». Et Federico Rossin, qui programme dans le cadre des États généraux toute une « Histoire du Doc » à la Colombie, poursuit : « Pour Mayolo et Ospina, cinéphiles nourris de culture populaire, un cinéma qui utilise la pauvreté des classes les plus démunies pour valider son agenda politique et confirmer son idéologie n’est qu’un « porno de la misère », le spectacle ultime. »
Les quatre courts métrages que nous avons choisi de vous montrer témoignent chacun de ces prises de position. Oiga vea! est le premier film réalisé par le « Grupo de Cali » : privés d’accréditation pour les Jeux Panaméricains de 1971, Mayolo et Ospina filment alors ces Jeux depuis ceux qui en sont exclus – depuis les pauvres qui travaillent dans la rue. « Écoutez, regardez ! » dit le titre : écoutez et regardez ce que la propagande voudrait nous montrer d’un « grand événement officiel », et ce qui est l’autre réalité, faite de pauvreté et de contrôle militaire et policier ! (Savez-vous qu’en 2024 il y aura des Jeux Olympiques à Paris ?)
Au lendemain des Jeux, toujours à Cali, dans Cali: de película, « Mayolo et Ospina libèrent symboliquement la ville otage en filmant les festivités de rue et le carnaval. (…) Une orgie de rituels et d’événements théâtraux ». On le sait, les carnavals sont toujours des manières de renverser le pouvoir… Autre renversement : Asunción. C’est une fiction, un conte anarchiste plein d’humour, teinté de film d’horreur, dans lequel une employée de maison se rebelle contre ses employeurs, utilisant comme armes le désordre et le chaos (et en leur faisant boire son propre sang aussi).
Enfin : Agarrando pueblo. Littéralement « attraper les gens ». Dernier film et chef d’œuvre du « Grupo de Cali », faux making of qui suit une équipe de tournage à la recherche de pauvreté et de misère à filmer. Reprenons à nouveau les mots du programmateur : « Mayolo et Ospina dénoncent avec sarcasme et férocité les films qui titillent le goût voyeuriste des spectateurs occidentaux. Pour eux, gauchistes engagés parachutés dans les bidonvilles et télé occidentales réactionnaires et vampiriques participent au même grand banquet de la pauvreté : la « porno-misère ». Voilà qui est dit, voilà qui est bien frontal, et franchement d’aujourd’hui !
Bons films !