Le facteur humain.
Sisyphe, il balaie les rues de Kaboul en pleine nuit. Il reçoit tous les jours un peu plus de courrier à distribuer. Il part à la mine ou bien il façonne à la chaîne des centaines de pièces d’acier.
Quatre films de notre programmation de la semaine s’intéressent au travail. À ce qu’il fait à nos corps, à la manière dont il remplit nos journées de manière démesurée. À l’exploitation, à la misère et puis aussi : à sa part créative.
Au moins le titre est clair : C’est quoi ce travail ? met en dialogue les ouvriers d’une usine de pièces automobiles avec un musicien qui au milieu d’eux part à la pêche aux sons, muni de sa perche. Fascinantes plongées intérieures, les voix de chacun nous font vivre les pensées de la journée, les gestes répétitifs, la rigueur, la routine ou bien les rêvasseries qui parviennent à s’interposer au milieu du flux de la chaîne sans fin. Le travail, c’est quoi ? Ce sont des heures qui nous mobilisent, des heures qu’on traverse et dans lesquelles chacun tente d’y trouver son compte, de manière singulière.
Et comment les balayeurs de Kaboul trouvent-ils leur compte ? Dans Nuit de poussière, les balayeurs balaient, oui, des avenues d’où la poussière ne disparaîtra jamais. La nuit dans la ville est active, vivante, le travail la remplit (le travail rendrait-il vivante une ville ?) et l’on se pose parfois pour parler, ou bien on parle en travaillant : c’est l’inquiétude qui ressort de tous ces mots, et le sentiment d’une ville lentement sabotée…
Un film muet, pour continuer : La Faim à Waldenburg. Ce semi-documentaire de 1929, où “tout est vrai”, fut censuré et longtemps perdu. C’est qu’il ne fallait pas montrer la violence envers les ouvriers. C’est que la misère organisée et les conditions de vie insupportables ne devaient absolument pas faire partie de la réalité du monde du travail. Phil Jutzi, considéré comme chef de file du “cinéma prolétarien” lance ici un appel au changement – à considérer 100 ans plus tard…
Et enfin, notre Coup de cœur, Une tournée dans la neige. Un film d’une grande simplicité, d’une grande sensibilité, qui enquête sur les raisons qui auraient pu pousser une jeune factrice au suicide après une trop longue errance dans la nuit enneigée des plateaux de Haute-Loire. Et à travers cette enquête, c’est toute une remise en question des principes de management, d’organisation du travail dans les immenses structures telles que la Poste qui sont dénoncées. Des méthodes qui diluent toute responsabilité et peuvent mener, presque mine de rien, à une horreur dans laquelle l’individu, l’humain n’ont plus aucun poids, plus aucune valeur pour l’institution. Et dans son film, Hélène Marini remet cet humain au centre de tout.
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Nous sommes très heureux aujourd’hui de vous présenter un Fragment d’une œuvre consacré à Henri-François Imbert, cinéaste artisan qui s’embarque volontiers dans des enquêtes, au hasard des rencontres et des trouvailles.
Une bobine Super-8 est le point de départ de Sur la plage de Belfast : qui sont ces gens sur la pellicule, qui jouent en famille sur la plage ? Le cinéaste mènera l’enquête jusqu’à Belfast, qui connaît à ce moment précis son premier temps de paix depuis des décennies…
Le Temps des amoureuses, lui, est un film de rencontre : avec notamment le dénommé Hilaire Arasa, qui 35 ans auparavant tourna devant la caméra de Jean Eustache, comédien parmi d’autres dans Mes petites amoureuses. Une façon de revenir sur les circonstances de ce tournage, à Narbonne, à la recherche de ceux et celles qui ont joué jadis pour le grand cinéaste.
Enfin, un portrait, André Robillard, en chemin – celui du susnommé, figure de l’art brut que Henri-François Imbert avait déjà filmé auparavant. Un portrait d’artiste, mais aussi une manière de revenir sur des années d’évolution du regard sur la “folie”, pour cet homme qui aura passé presque toute sa vie dans un hôpital psychiatrique… à créer, à imaginer, à… travailler !
Bons films !