On ne se risque pas trop en disant que PJ Harvey est l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire du rock. On peut envisager (bien que difficilement) que certaines personnes puissent ne pas apprécier sa musique. Mais il suffit de tomber sur quelques captations de ses concerts pour ressentir immédiatement ce qu’est la puissance de sa présence, de ses riffs et de son chant. La voir au travail, dans A Dog Called Money, permet de remonter à l’origine de ses chansons – en l’occurrence celles de l’album The Hope Six Demolition Project en 2016. On l’y voit dans une phase que pour un film on qualifierait de repérages : en voyage avec le photographe et réalisateur Seamus Murphy en Afghanistan, au Kosovo, à Washington. Présence intruse et discrète, oreilles et yeux ouverts. Et puis on assiste à son travail – passionnant – de répétitions et d’arrangements, en studio à Londres avec ses nombreux musiciens. Les paysages lointains se transforment alors en chansons : des paroles, des thèmes, des rythmes naissent, inspirés du réel. Oui, PJ Harvey est aussi documentariste à sa manière.
L’amour, c’est chouette, alors parlons d’amour. C’est chouette, mais ça peut être un peu dur, non ? Quand ça coince, quand ça veut pas. Dans Une bosse dans le cœur, c’est un peu compliqué, oui. Le film, que Tënk a soutenu en préachat en partenariat avec le département de l’Ardèche, raconte l’histoire de Kirill, ami du réalisateur Noé Reutenauer. Kirill est trisomique et son rêve c’est d’aimer et d’être aimé. Devant ses difficultés, devant l’obstacle de sa différence, il s’évade dans l’imaginaire, invente ses histoires idéales de vaillant chevalier ou de fans amoureuses. Et se confie à son ami Noé, dans ce qui est aussi une très belle histoire d’amitié.
Un souvenir d’archives est un film tout en gros plans. Un film qui adopte le point de vue d’une chercheuse, Isabelle Ullern, plongeant dans des boîtes et des chemises, dépliant des manuscrits, ouvrant des petits répertoires. Ces archives, ce sont celles de Sarah Kofman, philosophe, dont l’œuvre fut aussi marquée par son passé d’enfant juive cachée à Paris pendant la 2e guerre mondiale – passé qui la mena à mettre fin à ses jours en 1994. En 45 minutes, accompagné par la voix “en pleine action” de la chercheuse, le film parvient à guider notre regard vers les détails d’une graphie, d’un dessin griffonné… vers l’origine des gestes qui ont noté, qui ont biffé… vers la main de Sarah Kofman elle-même. “Le regard n’est plus un regard, c’est un regard qui se transforme en bouche qui avale le texte” dit Isabelle Ullern. C’est ce regard, très matériel et pourtant plein de prudence, qui nous est transmis : comment l’Histoire se fait sensible.
Les trois autres films de notre programmation composent un Fragment d’une œuvre consacré à la réalisatrice Loredana Bianconi.
Trois films qui creusent l’Histoire et la mémoire. Celles de l’Italie, d’abord. Avec Oltremare, qui revient sur l’histoire des colons italiens qui, souvent poussés par la misère – et la promesse d’un Eldorado – quittèrent leur village dans les années 30 pour s’établir dans l’Empire Italien d’Afrique. Et qui durent en revenir à la chute de celui-ci. Un film tout de mots, de sons et de photographies venues du passé, qui relatent l’Histoire du point de vue intime.
Do You Remember Revolution? fait la part belle à la parole et aux entretiens. Et la question du titre est posée à quatre femmes qui dans l’Italie des années 70 se sont engagées dans la lutte armée avec les Brigades Rouges. Toutes ont été condamnées et certaines d’entre elles sont encore derrière les barreaux lorsqu’elles s’expriment. Et si la réalisatrice s’interroge sur cet engagement jusqu’à l’extrême, c’est qu’elle-même prit part à ces luttes mais sans emprunter, elle, le chemin de la violence…
Enfin, Des portes et des déserts, dernier film en date de Loredana Bianconi, qui reçut l’an dernier le Prix Tënk au festival de Trieste en Italie. Un récit qui relate l’Odyssée des migrants, d’hier et d’aujourd’hui, sous une forme unique, par un jeu de correspondances très libre entre images collectées sur internet, texte à l’écran, paysage sonore électroacoustique… “Des portes et des déserts est un poème en prose écrit par Loredana Bianconi à partir d’histoires de migration qui lui ont été confiées. C’est aussi un film très personnel, à la beauté inouïe.” écrit Pauline David, qui programme ce fragment. Un film qui là encore raconte des histoires d’exil, et des histoires d’Histoire…
Bons films !