Prenons un petit caillou. Comparons-le à notre pouce. Prenons un gros rocher, ou bien toute une chute de pierres, et comparons-les à, par exemple, la durée de notre adolescence. Bref : commençons tout simplement la semaine en comparant les humains et les cailloux. Deux films nous accompagnent aujourd’hui dans cette tâche nécessaire.
Homo/Minéral se penche déjà très sérieusement sur la question. « Sérieusement », c’est-à-dire avec une vraie rigueur formelle : Christophe Loizillon explore les temps humains et minéraux en 6 plans-séquences. Mais « sérieusement » ne veut pas dire froidement. Au contraire, le film nous plonge dans des abîmes émouvants, qui mettent en regard nos petits temps d’humains (ou de fourmis) au temps géologique. Ce n’est pas pour rien que nous avons fait entrer ce film dans notre série de l’été réunissant des courts métrages tournés vers les sens et les sensations. C’est un film sensuel à sa manière, qui nous fait sentir êtres de chair.
Corps Samples, de Astrid de la Chapelle, brasse aussi les matières. Celles des corps et des montagnes. Le film expérimente, entre images argentiques et récupérations du web, usant d’images historiques reliant les corps de Lénine embaumé ou de George Mallory, conservé par la glace de l’Everest pendant des décennies. C’est de permanence et de transformation des matières qu’il est question dans ce court métrage qui interroge, et qui ne demande qu’à se laisser embarquer dans une drôle d’expérience de temps et de mémoire…
Oui, parlons à présent de mémoire. Dans Navire Europe, d’abord. C’est celle de Trude Lévi qui flanche lorsque la réalisatrice Marina Déak finit enfin par poser sa caméra devant elle pour recueillir sa parole. Une femme rescapée de la Shoah qui au cours de sa vie raconta souvent son passé, mais qui, comme souvent, comme tout le monde, finit par se perdre un peu, l’âge avançant. Alors c’est un film avec cette parole « trouée », avec ce qu’on rate et aussi tout ce qui se construit au présent. Un film soutenu par Tënk lors de sa production.
Hypersensibilité aérienne cherche à combler un trou. Celui de tout ce qu’on ne sait pas lorsque notre corps flanche et qu’il est pris en charge par la médecine. Marie Famulicki, au lendemain d’un AVC, enquête sur sa propre absence, et sur la manière dont elle est revenue au monde. Qu’a-t-il bien pu se passer, pour de vrai, dans ce temps hors du temps ? Et qu’a-t-il pu se passer, aussi, à l’intérieur ? C’est avec grande poésie, et humour, et tendresse, que la réalisatrice s’attelle sérieusement à la tâche de retrouver, autant que possible, quelque chose de sa vie qui s’est perdu.
Et pour finir, Little Palestine, journal d’un siège. Un film important, qui raconte de l’intérieur la vie dans le quartier de Yarmouk, à Damas, assiégé par le régime de Bachar Al-Assad de 2013 à 2015. Le réalisateur, Abdallah Al-Khatib, nous y entraîne à sa suite. À la fois habitant du quartier, au cœur de l’action, et réalisateur inspiré, il sait nous faire rencontrer les habitants qui tous les jours se battent pour survivre et ne pas céder. Le siège, ce sont des meurtres à petit feu, par la faim, par la maladie, et c’est la peur permanente des bombardements. Mais ce sont aussi des gens qui ensemble et séparément luttent pour leur dignité. C’est du courage sans limite. Tout ceci, le film le montre. De l’intérieur. Comme jamais.
Bons films !