Cap vers l’Est.
L’Est, en considérant que nous sommes à l’Ouest, bien sûr. Nous irons donc cette semaine du côté de la Tchétchénie, de l’Ukraine, de l’ex-Yougoslavie on encore de l’Allemagne (de l’Est et de l’Ouest).
Voici pour commencer François Crémieux, jeune médecin filmé par Chris Marker dans Casque bleu. Revenu d’ex-Yougoslavie où il s’était porté volontaire sous la bannière de l’ONU, il témoigne de son expérience. Le film aborde sa parole avec une très grande simplicité, en misant sur la formidable éloquence du personnage. 25 minutes pendant lesquelles il raconte sa découverte de l’organisation militaire, les patrouilles, les premières sorties sur des zones dévastées par les combats et la destruction. 25 minutes où il fait également part du rapport à la violence de ses collègues soldats, de leurs motivations et de la sienne, de la fascination pour l’action et la mort. En racontant l’armée par son côté “normal”, celui de la routine du soldat, il livre une passionnante plongée dans ce qui reste pour beaucoup inconnu. Et pointe avec acidité les contradictions de ce qui se nomme le “maintien de la paix”.
La guerre, elle est aussi présente dans l’œuvre de Tamara Trampe et Johann Feindt, à qui nous consacrons cette semaine un Fragment d’une œuvre en forme d’hommage à la réalisatrice disparue il y a un an.
Il faut dire qu’elle est née dans la guerre, Tamara Trampe : littéralement au cœur d’un champ de bataille en 1942. C’est sur cette origine qu’elle revient en conversant avec sa mère, à l’époque infirmière de guerre, ainsi qu’avec d’autres anciennes combattantes, dans Ma mère, une guerre et moi.
L’art de l’entretien est au cœur des films du couple de cinéastes. Ainsi, si Les Corbeaux blancs parle de la violence en Tchétchénie, il le fait avec recul, en allant rencontrer en Russie des jeunes hommes, des infirmières, des mères de soldats. Qui parlent après. Et qui témoignent non seulement de la réalité du front, mais aussi de ce avec quoi on revient de la guerre : le traumatisme, la violence, la vie brisée par l’horreur.
Le troisième film s’intitule La Boîte noire, “l’un des premiers documentaires de la période post-réunification à traiter des méthodes du ministère de la Sécurité d’État” en RDA. On y rencontre cette fois-ci Jochen Girke, professeur de “psychologie opérationnelle” au sein de l’administration. Ou plutôt : Tamara Trampe le rencontre. Et leur face à face est fascinant. Elle, toute entière animée, parfois de manière véhémente, par le besoin de comprendre comment un homme peut s’investir dans un tel travail. Lui, comme aveuglé, apparemment incapable de se rendre conscient de l’injustice dont il a été un rouage pendant 20 ans. C’est une plongée passionnante dans la psychologie d’une personne, un “psychogramme”, comme le nomme notre programmatrice Carolin Ziemann, qui “montre l’un des nombreux “délinquants de bureau” nécessaires au maintien des régimes oppressifs. Hier et aujourd’hui.”
Enchaînons avec un peu de pop-disco, tiens. Harun Farocki, dans Single. Production d’un disque, s’intéresse au labeur. Même pour fabriquer de la pop-disco, oui ! “Musicien après musicien, piste après piste, prise après prise, [le réalisateur] décompose la réalisation d’un morceau”. Ce faisant, comme l’écrit Sylvain Bich, qui programme le film, “il démythifie toute l’imagerie de l’artiste inspiré qui ferait les choses comme ça, comme cela lui vient. Tout est ici travail, parfois laborieux, souvent répétitif, où chacun occupe un poste, un rôle bien précis et dirigé par un producteur”. Comme il le fera par la suite dans Une image (disponible à la location), où il s’intéresse à la fabrication d’une photographie pour le magazine Playboy, c’est avec application et précision que Farocki nous montre comment le “spectacle” se fabrique, produit industriel parmi tant d’autres.
En allant vraiment, vraiment très loin vers l’Est, et en faisant le tour, on se retrouverait aux États-Unis (en supposant que la Terre ne soit pas plate). Il paraîtrait même (mais c’est à vérifier) qu’en allant vraiment, vraiment supervite, on pourrait se retrouver en 1969.
Opération Lune demande aussi quelques vérifications. Le film nous raconte en effet qu’en 1969, des choses bien troubles ont eu lieu autour du supposé alunissage des étatsuniens. Des choses qu’on voudrait nous cacher ! À grands renforts d’enquête et d’entretiens avec les dirigeants politiques les plus importants de l’époque (Donald Rumsfeld et Henry Kissinger notamment), William Karel expose des secrets d’état qui laisseraient penser que Stanley Kubrick lui-même aurait pris part à l’une des plus grandes tromperies de l’Histoire… Difficile de vous en dire plus ici… nous vous laissons découvrir ces révélations par vous-mêmes !
Ce film fait partie du nouveau Parcours découverte que nous proposons pour un an sur la plateforme. Cette section un peu particulière du site est adressée principalement à ceux et celles qui découvrent le monde du cinéma documentaire : chacun des films – tous de formes bien différentes – y est accompagné d’un texte guidant la découverte du genre. Vous y retrouverez dès aujourd’hui Folie douce, folie dure et Nés derrière les pierres, et un quatrième film les rejoindra la semaine prochaine !
Bons films !