Depuis 365 jours la Russie a étendu à l’Ukraine entière une guerre déjà commencée depuis 2014 sur une partie du territoire. Une guerre des années 10, une guerre des années 20, dans laquelle des gens meurent et des bombes tombent. C’est une guerre dont les images nous arrivent par de multiples biais – via les médias traditionnels, les plateformes, les réseaux, avec ou sans aucun intermédiaire. Chaque conflit apporte son nouveau mode de représentation, ses nouvelles images. Et les questions qui les accompagnent : celle de leur provenance, de leur point de vue, de la maîtrise de l’opinion… celles de leur pouvoir et de leur poids parfois immenses dans les affaires internationales.
Nous avons choisi de faire un pas en arrière et de vous proposer 3 films qui réfléchissent à l’utilisation des images et à la propagande, en temps de guerre ou de guerre froide.
Propaganda fide : propager la foi, conquérir des fidèles – doctrine papale du début du 17e siècle. Atomgrad, Assembling Utopia s’intéresse à une foi particulière : celle qui concerne l’énergie nucléaire. Et comment l’Union Soviétique en fit la promotion, en Ukraine particulièrement, où se construisirent les tristement célèbres centrales de Tchornobyl et Zaporijjia. Il s’agissait de faire adhérer la population à l’utopie d’une énergie “éternelle” garante de paix et d’harmonie. Le film, réalisé par des chercheurs en cinéma ukrainien, déconstruit avec une bonne dose de dérision cette propagande soviétique. “Non, écrit Arnaud Hée, qui programme le film : l’usage pacifique du nucléaire est indissociable de ses usages militaires, ce sont les deux faces d’une même pièce. Et ces villes qui promettaient des lendemains radieux s’invitent depuis un an dans l’actualité comme des cibles militaires, des moyens de terreur.”
Les images de guerre, ce sont aussi toutes celles que l’agresseur ne montre pas et garde bien dissimulées. Ici, les États-Unis, lors de la guerre du Viêt Nam. Time of the Locust est un film très important dans l’histoire du cinéma anti-guerre. Considéré comme le premier film dénonçant, en 1966, les horreurs de cette agression. “Beaucoup d’analystes qui ont décrit le Viêt Nam comme “la première guerre entièrement couverte par les médias”, ont oublié de dire que souvent, elle n’était qu’une mascarade hollywoodienne, car les seules images qui auraient pu choquer le public de la télé ne sont pas arrivées sur les petits écrans.” écrit Federico Rossin, programmateur. Time of the Locust montre ces images choquantes, d’une extrême violence.*
Enfin, Guerra e Pace, de Martina Parenti et Massimo D’Anolfi. C’est un film-somme, qui retrace l’histoire des liens indissociables entre le cinéma et la guerre depuis 1911 et l’invasion italienne de la Lybie. Et qui pose de nombreuses questions : “Comment décrypter les images de guerre quand seuls les vainqueurs les ont produites ? Comment filmer la guerre et faut-il seulement la filmer ? Comment analyser ces images filmées par les protagonistes eux-mêmes ?” Un film qui au bout du compte pose une dernière question : ça veut dire quoi, filmer la paix ?
“Pourquoi les fleurs nous paraissent-elles si merveilleuses ?”
La violence semble bien loin, dans ce questionnement du sculpteur Giacometti. Et pourtant. C’est le poète et traducteur Philippe Jaccottet, qui reprend ces mots, en y ajoutant : “je pourrais mettre cette phrase en exergue à presque tous les livres que j’ai écrits depuis que je suis à Grignan”. Dans ce passionnant entretien, Jaccottet (disparu il y a 730 jours) parle de son travail de traduction et de poésie. Et révèle mot après mot comment son travail est bien loin de la cueillette de fleurs. Dans toutes les promenades qui habitent son œuvre réside, profonde, une détresse, une permanente difficulté à bien dire la révolte contre la mort et l’absurdité de nos vies. À voir – et à lire !
Des fleurs, passons aux crevettes. Et autres “produits de la mer”. Passons des fonds marins jusqu’aux assiettes. Le Constat de la crevette grise, c’est celui d’un poison qui souille les eaux de la mer du Nord. Et qui remonte sur les étals des poissonniers pour redescendre dans nos estomacs. C’est cette absurdité là. Et ce poison qu’on continue de taire, c’est la guerre. Ce sont toutes les bombes de la première guerre mondiale qui finissent de suinter leurs métaux lourds, cent ans, plus de cent ans plus tard. Un constat écologique édifiant.
Finissons avec notre Coup de cœur de la semaine, One More Jump : “un autre saut pour atteindre la rédemption et la libération dans une vie qui se déroule au milieu des bombes.” C’est une grande histoire de deux destins parallèles. Deux jeunes hommes de Gaza passionnés de Parkour, cette discipline sportive qui consiste à se mouvoir de manière acrobatique dans l’espace urbain. L’un, resté en Palestine, continue à s’entraîner dans les paysages ravagés par l’armée israélienne. L’autre s’est exilé en Italie. Claudia Maci écrit : “Deux histoires vraies d’espoir et de déception, d’émancipation et de défaite, de chute et de renaissance” – entre les rêves de liberté et la réalité de l’exil, deux points de vue réunis par une origine commune : la vie dans la guerre, et l’avenir à écrire coûte que coûte.
Bons films !
*La version sous-titrée en français du film arrivera lundi.