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•• Cette semaine sur Tënk – La Chaise et le territoire

8 décembre 2023

D’abord, deux raisons de faire le tour du monde : se questionner sur l’existence du temps ou s’intéresser aux chaises en plastique.

Vous la connaissez, moulée, souvent blanche, un peu écaillée, chauffant légèrement au soleil (mais pas trop) et ployant parfois sous le poids du dos si on s’affale un peu trop. La chaise monobloc, reine des arrière-cours et des snack-bars. Drôle de sujet et pourtant : c’est tout à fait incroyable, qu’un même produit soit si répandu sur terre ! Alors le film Monobloc s’interroge. Et en allant voir un peu partout, en débusquant des tas de chaises, flambant neuves ou recyclées, il rencontre… des gens ! Capitalisme, mondialisation, uniformisation sont les thèmes de ce film, qui montre aussi des dizaines – des centaines, des milliers – de manières de vivre l’économie, la vie quotidienne, le confort… des milliers de façons de chercher le bonheur.

Le temps, c’est une ligne tracée de gauche à droite, avec une flèche au bout. C’est quelque chose qui avance et qu’on avance dessus. Ça comprend trois parties, dont une n’existe pas. Bref, on sait pas trop. The End of Time ne nous donnera pas la réponse, et c’est très bien comme ça. Parce que The End of Time est un film documentaire et qu’à ce titre il est libre de faire un peu ce qu’il veut. Comme, par exemple, filmer une machine qui cherche les origines du Big Bang, une maison encerclée par la lave ou la ville de Detroit après la ruine. Et à travers diverses rencontres nous faire entrer dans un film kaléïdoscopique, presque une expérience psychédélique, visuellement et sonorement impressionnant, qui tente d’appréhender ce que sont présent, passé et futur. Vaste ambition ! Et notre programmatrice Julia Pinget note : « Ce qui semble au premier abord une quête impossible devient une réflexion sur nos manières, toutes singulières, de comprendre et de percevoir le monde ».


On pourrait dire qu’ensuite il y a quatre histoires de territoires.

Le territoire qu’on défend avec des muscles : c’est la Suisse et son armée, dans Sur nos monts. Parce que « Sur nos monts, quand le soleil / Annonce un brillant réveil / Et prédit d’un plus beau jour le retour / Les beautés de la patrie / Parlent à l’âme attendrie / Au ciel montent plus joyeux / Les accents d’un coeur pieux ». Ce n’est pas tous les jours qu’on peut citer le Cantique suisse ! Les beautés de cette patrie sont défendues par des jeunes gens qui s’échangent des images sur les réseaux sociaux. Et de cette matière le film est fait, qui montre ce qui se cache dans les casernes : un quotidien fait d’exercices, de taches quotidiennes, d’ennui et de cette fameuse camaraderie masculine, vous savez.

Il y a le territoire qui n’existe pas, qui est un fantôme mais qui vit quand même. C’est dans Barataria, qui filme un endroit nommé El Quiñon, au Sud de Madrid en Espagne. Une cité nouvelle destinée à accueillir 40 000 habitants, financée par un monsieur très riche, Francisco Hernando, alias « Paco L’égoutier » (oui). Mais sa construction fut stoppée par la crise économique en 2008, et la cité n’attira que très peu de monde : 3 000 personnes qui vivent au milieu des immeubles vides, parfois inachevés. Alors comment vit-on là ? On y vit en tout cas – et le film de Julie Nguyen Van Qui nous le montre de manière sensible –, on y chante, on y parle, on y rêve, on est de tous âges, un peu comme un village.

L’Amérique. Avec « les américains ». Tout un imaginaire. Mais on se comprend : L’Amérique insolite parle bien des États-Unis. François Reichenbach, cinéaste très voyageur, entreprend dans les années 50 de scruter ce grand pays et ses habitants. Il en parle très bien lui-même : « J’ai voulu prendre le citoyen américain depuis sa naissance jusqu’à sa mort et le suivre dans toutes les circonstances cocasses, burlesques, insolites de la vie. J’ai voulu montrer son extraordinaire jeunesse, ses passions, son goût de la violence, ses drames, sa gentillesse et ses bizarreries. Être un témoin curieux, infatigable, parfois même indiscret : tel a été mon but. Mais je ne me suis jamais permis de juger. » Il en résulte un film extrêmement libre, d’une très grande beauté plastique, qui nous plonge dans une autre époque, une époque qui semble aujourd’hui tellement lointaine (ô rêve américain !) !

Dernier territoire : Honeyland. « Pays du miel », qui laisse imaginer des rivières de lait, des nuits doucement tièdes et une rosée sucrée. Mais les montagnes macédoniennes où vit Hatidze ne sont pas exactement à cette image. Franchement plus rude, sa vie, avec sa mère malade, dans un hameau isolé. Et pourtant le miel coule et Hatidze le récolte, en parfaite cohabitation – communion – avec les abeilles. Qui ne sont pas ses abeilles mais celles de la montagne, qui lui fournissent le miel dont elle fait modestement commerce. Une vie dure mais paisible, qui sera bouleversée un jour : lorsque de nouveaux arrivants décideront d’exploiter les abeilles. Lorsque le profit à court terme s’invitera, forcera et déséquilibrera tout – le milieu et ses habitantes. Honeyland c’est une grande histoire comme une fable, à regarder aussi avec les plus jeunes !

Bons films !