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•• Cette semaine sur Tënk – FILMER = VIVRE

10 novembre 2023

Alors que cette année marque les 40 ans de la découverte du VIH, l’épidémie est loin d’être terminée. On compte, dans le monde, une contamination toutes les 19 secondes, et un décès toutes les 46 secondes ; 38 millions de personnes vivent avec le VIH, et 6 millions ignorent qu’elles en sont porteuses. Or, le sida existe toujours aussi peu dans l’espace médiatique. Pour autant, les images existent, et ce depuis le début de l’épidémie.

Cette semaine, Tënk, en partenariat avec le festival Chéries-Chéris, Festival du Film LGBTQIA&+++ de Paris (qui commence le 18 novembre), vous propose l’Escale FILMER = VIVRE, dans laquelle le programmateur Sylvain Bich revient sur cette histoire avec des films empreints d’amour, de luttes et d’une urgence de vivre.


Du journal intime, à des formes plus classiques qui documentent avec force une histoire et des événements, du pamphlet au collage, les films que nous vous proposons sont l’œuvre de militants, qui s’ancrent dans la période allant du milieu des années 80 jusqu’au début des années 90. Cette période est une période noire pour la propagation du virus, avant l’arrivée des trithérapies. C’est également à ce moment-là que naissent les associations de lutte contre le sida, au premier rang desquels Act Up (auquel le titre de l’Escale rend un humble hommage), et qui par son activisme a contribué plus que toutes à médiatiser et politiser le VIH.

Le point commun de tous ces films est cet engagement à dire : le sida est avant tout une épidémie politique, il n’est pas une simple maladie à traiter avec des médicaments mais est le révélateur de choix de sociétés conservatrices et racistes, emplies de préjugés. Ces films sont des ripostes. Tous les films de cette programmation frappent par leur fougue, leur élan vital. Ils sont portés par la nécessité absolue de filmer, de faire prendre conscience, de s’ériger contre, pour dénoncer, pour dire la vérité, pour changer les représentations. Filmer c’est lutter, filmer c’est vivre, nous intime chacun de ces films.


Lorsque Tom Joslin apprend que son compagnon et lui sont atteints du sida, il décide de tenir un journal vidéo qui rende compte de la progression de la maladie. Pour laisser une trace, faire un film, se dire leur amour. Mémoire d’un couple homosexuel vivant à Los Angeles en 1993, Silverlake vu d’ici a été l’un des premiers film à montrer ce qu’est vivre et mourir du sida. C’est aussi et surtout une histoire d’amour glorieusement assumée entre deux hommes, Tom et Mark, un film d’une désarmante beauté et douceur.

Autre portrait d’un cinéaste, Gregg Bordowitz, qui se sait atteint par la maladie, Fast Trip Long Drop, détourne les formes en mêlant journal filmé, émission télévisée, archives, pour mieux expliquer et démonter la violence de l’autre, celle de la famille, des médias et de la société. Se faisant, il la désarme et reprend en main son histoire. À la fois grave et grinçant, innervé d’une puissance esthétique et politique, ce film est un petit ovni cinématographique qui ne peut qu’atteindre le spectateur.


Deux autres films de cette programmation détournent les images médiatiques pour mieux critiquer et répondre à l’inaction, à l’ignorance et à la discrimination. En un court pamphlet, Snow Job: the Media Hysteria of Aids, Barbara Hammer fait se succéder les gros titres des journaux et dénonce cette politique éditoriale de la peur et de la stigmatisation qui envahit les rédactions de l’époque. Elle nous entraine dans un grand tourbillon où mots, paroles et images s’entrechoquent, où tout se superpose et se brouille. Elle s’élève contre l’homophobie persistante de la société et montre ce que les médias ne savent voir : le corps, la chair, le souvenir des êtres et leurs images.

La stigmatisation des communautés atteintes par le sida et l’homophobie font rage dans le contexte de l’épidémie. En 1987, le Sénat américain adopte un amendement qui impose que le financement de la prévention contre le sida ne concerne que les structures promouvant l’abstinence sexuelle, et soit inaccessible à toute structure dont le discours préventif pourrait s’apparenter à la « promotion » de l’homosexualité ou de l’usage de drogues. They Are Lost to Vision Altogether de Tom Kalin, est une réponse à cet amendement. Un cinétract, comme un cri, pour que nous entendions et que nous ouvrions les yeux.


Enfin, deux films de cette programmation constituent des documents essentiels de cette époque. Avec Over Our Dead Bodies, Stuart Marshall retrace les origines de la lutte contre le sida aux États-Unis et au Royaume-Uni et la naissance des mouvements gays les plus engagés : Act Up, OutRage, Queer Nations et leurs modes d’action. Le film montre la colère et la frustration croissantes de la communauté gay face à la réponse totalement inadéquate de l’establishment politique et médical américain à l’épidémie. Si le film célèbre les actions de ce mouvement, il se penche également sur les débats suscités concernant la démocratie, la représentation ou encore la relation entre homophobie, racisme et sexisme.

En Corps +, bien que réalisé tout récemment, est composé majoritairement d’images datant des années 90, faisant partie du Journal Annales de Lionel Soukaz, à qui Stéphane Gérard s’est associé pour en faire ce film. En Corps +  est une sorte de synthèse. Innervé de l’esthétique des films de l’époque, il vient (ré)actualiser, leur discours et leurs messages. Il avait donc toute sa place dans cette programmation et vient nous rappeler, que la lutte, que les luttes, continuent.

Bons films !