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•• Cette semaine sur Tënk – Écrire dans nos mains

29 septembre 2023

Commençons dans un taxi à New York. Ça fait toujours bien. Jack’s Ride, c’est l’histoire de Joaquim, un homme portugais qui dans le passé faisait le taxi à New York, donc. Aujourd’hui, de retour dans son pays et approchant de la retraite, il est contraint par l’agence pour l’emploi de collecter des tampons prouvant qu’il cherche bien du travail. « La course aux tampons », ils appellent ça. Joaquim s’applique donc à passer de bureau en bureau, d’entreprise en entreprise, dans des zones industrielles peu séduisantes, jouant ce jeu administratif absurde. Mais la réalisatrice Susana Nobre filme son personnage comme un héros de fiction, mettant en scène sa silhouette décalée, éclairant son visage : sa coiffure en banane est lisse et luisante, son perfecto aussi. C’est un film sur le travail, sur un système économique absurde, et sur comment y échapper : par la fiction, la fantaisie, et dans une impeccable et brillante Mercedes Elegance.


Une fois n’est pas coutume : citons le pape. « Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation ! » dit-il. À quoi répondent fermement de fermes petits messieurs bien fermes, défenseurs de notre bonne civilisation chrétienne : « Nous devons être fermes face à l’immigration irrégulière ». Et de parler police aux frontières, effectifs de gendarmerie, reconductions. « D’un côté la fraternité, qui féconde de bonté la communauté humaine ; de l’autre l’indifférence, qui ensanglante la Méditerranée. Nous sommes à un carrefour de civilisations. À la culture de la fraternité s’oppose l’indifférence » – encore le pape, oui.

Hamama & Caluna est un instantané sur le parcours de deux jeunes hommes réfugiés dans le nord de l’Italie qui entreprennent de traverser les Alpes par les chemins, vers la Suisse. Et ce n’est pas une randonnée. C’est pour eux une traversée de plus, dont le but ne peut qu’être incertain. Se cacher dans la nuit, dans la forêt, comme des chamois, comme des bouquetins, ne peut pas être un destin. S’il n’y a pas d’accueil, où vont-ils ? Le film de Andreas Muggli nous fait partager cette rencontre de col en col, qui débouchent sur un avenir inconnu dans une Europe qui faillit toujours à son devoir d’humanité…


Pippa Bacca était catholique. En 2008, elle partait depuis Milan pour accomplir un geste artistique coordonné avec sa consœur Silvia Moro. Le projet : relier l’Italie à Jérusalem en traversant les Balkans et le Proche-Orient, tout en auto-stop et en robe de mariée. Une manière de démontrer la confiance entre êtres humains, de mettre en avant les valeurs communes autour de la Méditerranée, la bonté, la joie : la paix. Rencontrant des femmes sur son chemin, il lui arrivait de s’agenouiller devant elles et de leur laver les pieds. La robe de mariée, elle, devait faire tout le périple et revenir salie, boueuse, amassant les signes des conflits, de la guerre, du sang versé. Parties ensemble le 8 mars 2008, les deux artistes prirent deux chemins différents. Et le 31 mars, en Turquie, Pippa fut violée et assassinée. Le film La Mariée raconte cette terrible histoire et offre un puissant geste posthume. Caroline Châtelet, qui programme le film, écrit : « Si la performance s’est muée en tragédie (…), le film procède autant d’un hommage, d’un témoignage, d’une transmission de son travail que d’une inscription du nom de Pippa Bacca dans l’histoire ».


« Plug and Pray n’est pas sans faire écho au vent d’inquiétude qui agite ces derniers temps le monde de la création et de l’écriture en particulier, face à l’emploi de l’intelligence artificielle dans ce domaine » écrit notre programmatrice Julia Pinget. Le film suit la pensée de Joseph Weizenbaum, célèbre pour avoir développé Eliza, premier exemple de ce que l’on appelle aujourd’hui un “chatbot”, capable de simuler une conversation avec un être humain. « Cependant, Weizenbaum est également connu pour ses préoccupations éthiques concernant l’intelligence artificielle et les interactions entre les humains et les machines. Il a exprimé des inquiétudes quant à l’usage excessif de la technologie et à la déshumanisation potentielle résultant de l’automatisation des interactions sociales. Sa réflexion éthique a joué un rôle important dans la manière dont nous considérons aujourd’hui les implications sociales et éthiques de l’IA et de la technologie » écrit ChatGPT, dans un style impeccable. De quoi s’interroger sur nos usages numériques et nos potentielles contradictions…

À l’opposé de nos vies numériques, il y a le toucher. On peut débattre de cette phrase, si vous voulez. Mais enfin : il y a tout de même une distance certaine entre une ligne de code et le grain de la peau. Entre le clavier et le doigt dans la paume. Il y a des gens, dans Touchée, de Lætitia Mikles, qui pour parler se touchent. Ces gens sont aveugles et sourds. Et lorsqu’ils se parlent, on ne comprend rien. C’est plus qu’une langue étrangère. Et c’est un film délicat, un théâtre de mains et de corps qui propose, pour Arnaud Hée, programmateur, « un cheminement sensible : à nous l’énigme d’un monde à décrypter, à nous de faire le pas pour apprendre et comprendre ».

Bons films !

PS : dernier appel, plus qu’une semaine pour regarder les 6 courts métrages de notre série de l’été avec l’Agence du court !