Le blog de Tënk > Programmation

•• Cette semaine sur Tënk – Cinéma du réel

24 mars 2023

À la roulette russe, on a une chance sur six de se dégommer la cervelle. Alors lorsqu’un ministre français, pour justifier le passage autoritaire d’une loi, dit : “le choix politique que nous avons fait c’est de ne pas jouer à la roulette russe l’avenir de notre système de retraite”, il euphémise. Le vote démocratique du parlement – désigné ici comme roulette russe – promettait un barillet bien plus chargé, si ce n’est plein.

Le détournement des principes démocratiques existants mené par le gouvernement français en ce moment est insupportable, et demande une mobilisation sans faille pour que la lutte soit victorieuse. C’est manifester malgré l’extrême violence de la répression. C’est faire la grève, déjouer le pourrissement voulu par les autorités. C’est soutenir les grévistes des secteurs clés de l’économie. À notre mesure, et à la votre, nous vous invitons depuis quelques semaines à organiser des projections de films pour récolter de l’argent pour les caisses de grève. Choisissez un documentaire, réunissez-vous, parlez-en, faites passer le chapeau, et reversez-le dans la caisse de votre choix ! Tout vous est expliqué ici.

Et, soit dit en passant : le 6e rapport de synthèse du Giec a été publié cette semaine. Il paraît qu’il serait irresponsable “pour les générations futures” de ne pas réformer le système de retraite. Mais les générations futures auront bien d’autres chats à fouetter. Et les irresponsables, qui sont-ils ?


Aujourd’hui s’ouvre à Paris le festival Cinéma du réel. Nous consacrons toute notre programmation de la semaine à des films de l’édition 2022.

Prenons d’abord un peu de hauteur – disons deux petits étages. C’est chez le réalisateur Eugenio Polgovsky, au numéro 17 de la rue Malintzin à Mexico, que se déroule Malintzin 17. Il y filme sa fille Milena, 5 ans, dans un quotidien tout occupé par l’observation du nid d’un oiseau qui couve son petit en contrebas de leur fenêtre. Un film simple et ambitieux, tourné depuis une fenêtre et plongé tout entier dans l’amour d’un père pour sa fille. Un film que Mara Polgovsky, sœur d’Eugenio, a co-réalisé, montant les rushes laissés par son frère décédé brutalement à l’âge de 40 ans.

Le Prix des détenus a été remis l’an dernier au film Le Croissant de feu qui met en scène des discussions entre habitants d’un quartier d’immeubles d’Asnières-sur-Seine, entre présent, souvenirs et désirs de fuite. Le jury motive son prix ainsi : “Nous y avons apprécié la rencontre des différentes générations ainsi que l’échange de points de vue entre celles-ci, qui reflètent l’attachement au territoire, à son histoire et parfois le risque d’y rester bloqué. Une forme de solidarité ressort de leurs échanges drôles et bienveillants. Enfin, nous avons choisi ce film pour sa construction simple qui inclut le spectateur et qui a réussi à faire de moments de vie une histoire.”


Se filmer soi-même, s’exposer, s’arranger, poser pour la caméra. C’est le travail quotidien de Huahua dans Huahua’s Dazzling World and its Myriad Temptations. Littéralement : “le monde éblouissant de Huahua et ses tentations innombrables”. Titre ironique ? Huahua est une femme chinoise mariée avec enfants et petits-enfants, issue d’un milieu modeste. Et elle trouve dans le live stream et les filtres beauté une manière de s’échapper de sa condition, coincée qu’elle est entre le patriarcat et un monde capitaliste dévorant. “Un personnage touchant, drôle et admirable”, selon les mots de Lysa Heurtier Manzanares, mû par une inébranlable soif d’indépendance et de liberté…

Se filmer soi-même, poser pour la caméra, c’est aussi ce que font les jeunes gens d’Inhambane, au Mozambique, dans Domy+Ailucha: Ket Stuff!, qui reçut le Prix Tënk du court métrage à Cinéma du réel en 2022. Le réalisateur, Ico Costa, alors confiné, laissa le soin à ses personnages de se filmer eux-mêmes pour fabriquer, de loin, ce portrait embarqué de la jeunesse mozambicaine…


Continuons avec deux films qui se déroulent en Argentine. L’un, Camouflage, tourne autour – littéralement – du Campo de Mayo, zone militaire et lieu de détention de sinistre mémoire. C’est avec son corps que le personnage, l’écrivain Félix Bruzzone, visite les lieux : en courant. “Courir, c’est ici visiter le camp mais aussi conjurer la terreur qui y est liée, mesurer et maîtriser le lieu par sa propre hauteur d’homme, endurcir sa peau et aiguiser son souffle à même sa présence.” raconte Charlène Dinhut, programmatrice. Félix Bruzzone a quelque chose à régler là, à y trouver : c’est là que sa mère a disparu en 1976.

Enfin, notre Coup de cœur de la semaine va à Nos corps sont vos champs de bataille d’Isabelle Solas. Le film suit deux femmes trans en Argentine, qui se heurtent à la violence patriarcale, quotidiennement, jusque dans leur chair. Reprenons ici les mots de notre programmateur Aurélien Marsais : “Dans une société encore largement transphobe, Isabelle Solas fait le portrait d’une communauté de personnes militant pour leur droit à exister. À travers la vie notamment de Violeta et de Claudia, on découvre plus qu’un collectif, mais une véritable famille de battant·x·e·s” qui défendent leur place dans l’espace public par le dialogue, la rhétorique et surtout par leurs corps, comme arme politique.

Notez que ce film fait partie de ceux que vous pouvez programmer lors de vos actions pour les caisses de grève !

Bons films !