Le blog de Tënk > Programmation

•• Cette semaine sur Tënk – Belfort, tout s’évapore

24 novembre 2023

Dans quelques jours, Dubaï (qui a le plus grand gratte-ciel du monde avec 828 mètres de haut – quelle prouesse admirable !), accueillera la COP28. Elle sera présidée par le Sultan Ahmed al-Jaber, ministre de l’industrie et des technologies avancées des Émirats Arabes Unis et PDG du groupe Abu Dhabi National Oil Company.

Saleemul Huq, bangladais, scientifique, négociateur, a participé à toutes les COP sans exception depuis 1995. Toute sa vie il a lutté pour la justice climatique : faire reconnaître les dommages causés par les pays développés aux Pays les Moins Avancés. Et imposer une « réparation » financière (le fonds « pertes et préjudices »). Il avait accepté de faire partie des conseillers à la présidence de la COP 28 et avait écrit une lettre ouverte au Sultan, dans laquelle il disait notamment ceci : « En ce qui me concerne, si tout ce que vous pouvez dire à la fin de la COP28 est que des “progrès” ont été accomplis sur la question du financement des pertes et préjudices, ce sera le baiser de la mort. » Saleemul Huq est décédé le 28 octobre dernier et la COP se déroulera pour la première fois sans lui.

Dans Une fois que tu sais, Emmanuel Cappellin part à la rencontre de plusieurs experts et scientifiques du climat – dont Saleemul Huq – pour interroger la manière dont on peut mener sa vie une fois qu’on sait vers quoi le monde va. On y croise Richard Heinberg, Jean-Marc Jancovici, Pablo Servigne, ou encore les Limites à la croissance de Dennis et Donella Meadows : c’est une enquête scientifique, une étude des projections et des adaptations possibles à l’effondrement de la civilisation industrielle. Mais c’est aussi une plongée dans les bouleversements intimes que cela provoque – ceux du réalisateur, ceux des scientifiques, les nôtres. Et les espoirs, aussi, d’action et de solidarité.


Disparaître, et pourquoi pas ? Et comment et pourquoi ?

« Disparition », c’est cette année la thématique « transversale » du festival Entrevues Belfort, dont Tënk est partenaire. D’Escamotage d’une dame au théâtre Robert Houdin de Georges Méliès à Seuls Two d’Éric Judor et Ramzy Bédia, on y explore des plaisirs cinématographiques bien variés ! Nous en avons choisi 3, de ces films. Y disparaissent : un homme, un quartier et une femme.

Dans le Japon des années 60, c’est un phénomène de société : des milliers de personnes disparaissent chaque année. Dans L’Évaporation de l’homme, Shōhei Imamura s’intéresse à un certain M. Oshima, représentant de commerce, la trentaine, un peu normal, un peu malhonnête, qui s’est évaporé et que personne ne semble vraiment regretter sauf peut-être sa fiancée. Une enquête commence alors aux côtés de la jeune femme, avec toute une équipe de cinéma. Mais c’est une enquête sans fin : en tentant de reconstruire la vérité, tout le monde se heurte aux récits qu’on en fait. Pour l’un de ses premiers films documentaires, Imamura joue avec les limites, s’en amuse, il n’est pas dupe : « C’est une histoire réelle mais comprenez bien que c’est une fiction aussi ! »

Dans Blight, c’est tout un quartier de logements à Londres qui se fait raser de la carte. Et pour faire simple : Blight est un court métrage génial. John Smith (dont nous vous conseillons l’autant génial The Girl Chewing Gum) parvient à être drôle et mélancolique avec des images d’immeubles en briques. Il s’amuse avec toutes les matières qu’il récolte : des chantiers, des démolitions, des voix enregistrées. Et tout cela fabrique des mélodies, du rythme, de la musique. Et tout cela crie contre l’effacement de la vie humaine sous l’urbanisme et les tracés routiers.

Enfin, Diane Wellington. Autre court métrage de notre sélection, et autre court chef d’œuvre. « Ce matin, ma mère a reçu un appel du Dakota du Sud. Elle apprend qu’on a retrouvé Diane Wellington, disparue en 1938 » dit le résumé. Arnaud des Pallières raconte l’histoire de cette jeune femme. Comment elle a vécu, comment elle a disparu, les histoires qu’on s’est racontées sur les raisons de son absence soudaine. Petite ville. Dakota du Sud. Années 30. Autre court métrage, autre musique : celle, puissante et déchirante, qui crie pour le destin de Diane Wellington – et de ses millions de sœurs brisées.


De Belfort à Sochaux il n’y a qu’un pas : 19 kilomètres. Et c’est avec Bruno Muel qu’on le fait, pour plonger dans les ateliers de chez Peugeot, dans Avec les sang des autres en 1974. Sochaux c’est toute une ville-Peugeot. C’est toute une vie-Peugeot pour les personnes qui y vivent et y travaillent. Bruno Muel, cinéaste militant, membre des groupes Medvedkine, raconte ici les vies faites de travail à la chaîne, de bruits assourdissants, l’exploitation à outrance du travail humain. « Film militant, Avec le sang des autres l’est, profondément, écrit notre programmateur Benoît Hické. Mais il se distingue par sa force de narration, sa puissance formelle, cette façon de filmer les visages et de restituer les bruits parasites du travail à la chaîne » – un grand film d’un cinéaste et chef opérateur disparu il y a peu.

Terminons avec La Maison bleue, de Hamedine Kane, sur cette colline particulière qu’est la jungle de Calais. Une œuvre à part entière, cette maison, construite et entretenue par Alpha, qui se trouve là en exil. Ce sont deux artistes qui se croisent et Hamedine Kane fait non seulement le portrait de son ami perdu de vue depuis de nombreuses années, mais aussi celui de la jungle elle-même. Construire une maison-œuvre d’art dans la jungle de Calais, ce n’est pas rien. C’est se réapproprier ce lieu qui déshumanise. C’est se réapproprier le temps de l’exil, l’attente et la vie malmenée par l’arbitraire et l’absurde. Charlène Dinhut, programmatrice, précise : « La case d’Alpha, qui lui a valu une certaine aura, sera exposée en Angleterre avant même que celui-ci ne puisse voyager librement ».

Bons films !