Gregory Crewdson serait presque un cinéaste de fiction s’il n’était pas en fait un photographe. Il fabrique des images de paysages états-uniens à la limite du réel : des rues désertées, sous-peuplées, souvent inquiétantes. Il met en scène des histoires au beau milieu de carrefours, de lotissements, mobilisant les grands moyens du cinéma pour arriver à ses fins. Les Rencontres de la photographie d’Arles lui consacrent une exposition cette année.
Éric Tabuchi et Nelly Monnier sont photographes aussi, et fabriquent patiemment leur Atlas des Régions Naturelles. Une exploration des paysages français à travers les bâtiments et constructions de tous types : un atlas qui se nourrit sans fin des parcours géographiques des deux artistes. Les Rencontres de la photographie d’Arles leur consacrent une exposition cette année.
Tënk et les Rencontres d’Arles – qui s’ouvriront le 3 juillet – se croisent de bien des manières. Cette semaine, en lointain écho aux expositions sus-citées, nous nous sommes nous aussi tournés vers le paysage.
Alors, d’abord, suivons Luc Moullet, le plus pédagogue des cinéastes-guides touristiques, pour un Fragment d’une œuvre consacré à trois films qui explorent la géographie.
1- Luc visite le Nord-Pas-de-Calais.
Dans La Cabale des oursins, Luc Moullet se donne une mission, et finit presque par nous convaincre : les terrils sont dignes d’intérêt, aimables et admirables. Il convient donc dans ce film de les réhabiliter aux yeux de tous pour en faire des parties du paysage à part entière. Qu’on puisse les gravir, admirer de leurs cimes les plaines minières du Nord de la France, qu’on s’intéresse à ces tas de charbon trop longtemps méprisés !
2- Luc visite les Alpes du Sud.
« L’arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d’avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ça me fournissait un bon point de départ… » dit-il. La Terre de la folie, c’est la région d’origine de Luc Moullet. Et s’y niche un mystère que le réalisateur est bien décidé à élucider : il existerait là un « pentagone de la folie » à l’intérieur duquel les troubles psychiques seraient plus importants qu’ailleurs…
3- Luc se pose des questions d’aménagement du territoire.
Imphy, capitale de la France : constatant que Paris ne présente objectivement aucun intérêt pour garder le statut de capitale française – c’est excentré, c’est pollué, c’est froid et humide –, Luc Moullet et Antonietta Pizzorno partent sur les routes de France pour choisir le nouveau centre administratif du pays. Cela pourrait être Imphy, dans la Nièvre, par exemple. Ou pourquoi pas Aumelas, dans l’Hérault ? Les pieds dans les bocages ou la garrigue, on jauge les avantages et les inconvénients… et on peine, beaucoup, à se mettre d’accord…
Le paysage, c’est aussi comment on l’habite. Dans Jean-Pascal pour la France, on se pose la question de la communauté : ledit Jean-Pascal, cadre supérieur travaillant à Paris, se propose de constituer dans son village une communauté prônant le retour aux valeurs du terroir. La démarche questionne : qui est ce personnage, et quelles peuvent bien être ses véritables motivations ? Un film de parole, un film sur la vie en commun et sur sa possibilité, ou non.
Enfin, direction le Portugal, région de l’Alentejo, avec Sortes, de Mónica Martins Nunes. « Sortes », en portugais, c’est entre « hasard » et « chance » : quelque chose comme « fortune ». Le film est une douce et un peu dure promenade dans les paysages du Sud du pays. Disons : mélancolique. Et délicate. Ici, le temps est lent mais il passe bel et bien : il vide la région et fissure les maisons. Mais la beauté reste, avec la vie, avec les animaux, avec la poésie et les chansons : il faut les voir réciter leurs poèmes de travail et de rudesse, les hommes du coin, il faut les écouter chanter en chœur la perte d’une maison, aimée puis écroulée.
Bons films !