Qu’est-ce que c’est, « nous » ? Ça peut être par exemple des gens qui habitent tout le long d’une ligne de chemin de fer. Par exemple le RER B, qui se promène sur 80 kilomètres en Île-de-France. Alice Diop choisit d’y faire un voyage avec quelques arrêts et le film s’appelle Nous. Il y a l’infirmère qui passe de maison en maison. Le mécanicien malien. Il y a le souvenir de Rokhaya, la mère d’Alice Diop. Il y a le testament de Louis XVI dans la basilique de St Denis, qu’écoutent les fidèles. Il y a les premières images tournées dans le passé par Alice : des vidéos de son père. Il y a des tas de gens divers qui regardent un grand feu d’artifice. Nous, écrit Olivier Barlet, est « un manifeste. Non pas un refrain lénifiant sur le vivre ensemble mais un combat contre la fragmentation de la société et contre l’exclusion. (…) C’est dès lors en reconnaissant la beauté des êtres qui peuplent les images que le « nous » est un devenir en construction ».
« Je me rends compte que je fais des films en banlieue de façon obsessionnelle depuis 15 ans maintenant. Et en fait ça part de la même obsession de donner une trace, une existence, de conserver l’existence des petites vies qui sans quoi auraient disparu si je ne les avais pas filmées ». C’est dans Nous qu’Alice Diop dit ceci, le dernier documentaire qu’elle a réalisé. Et 15 ans avant, elle faisait ses deux premiers films, que nous vous présentons aujourd’hui dans un Fragment d’une œuvre consacré à la réalisatrice.
C’est là encore sur la ligne du RER B : Aulnay-sous-Bois. Là où Alice Diop a grandi, dans La Tour du monde. Du « monde », parce que cette montée d’escalier réunit le Mali, la Turquie, le Sri Lanka, le Vietnam, le Congo, etc. La cinéaste y propose un voyage de porte en porte, d’appartement en appartement. De pays en pays aussi, évidemment. Elle y montre les identités, bien loin du repli communautaire : c’est « un partage, personnel, impliqué, bourré de tendresse pour ces habitants qui vivent bien davantage que leur société d’accueil les solidarités traditionnelles » écrit notre programmateur.
Les Sénégalaises et la Sénégauloise est réalisé un an plus tard, lors de la toute première visite de la réalisatrice au Sénégal, pays d’origine de ses parents. Et c’est une découverte totale. Elle y filme une cour et ses habitantes : des femmes qui vivent là avec beaucoup d’enfants et fabriquent leur quotidien. Alice y est attentive, apprenant à connaître sa culture et sa langue d’origine. Et découvrant notamment leurs combats, leurs envies d’exil et… les conseils de séduction que l’on s’échange pour plaire aux maris.
The Queen est un film d’anthologie dans l’histoire du cinéma LGBTQ+. Tourné en 1967, il raconte le déroulement d’un concours de drag queens à New York, le « Miss All-America Camp Beauty Contest ». De l’arrivée des concurrents, parfois depuis le fin fond des USA, jusqu’à leur départ, en passant par les répétitions, les séances de maquillage, et bien sûr le concours lui-même, le film est un instantané de la culture Drag dans une Amérique qui criminalise encore la non-conformité de genre. « Frank Simon dessine le portrait d’une communauté en lutte pour sa survie, mais aussi en creux les tensions d’une Amérique en proie aux tensions raciales, deux ans avant les émeutes de Stonewall » écrit Aurélien Marsais. C’est un film unique, militant, drôle, tendu, déchirant et plein d’énergie : Miss Harlow, Miss Cristal et la maîtresse de cérémonie Flawless Sabrina (Sabrina sans défaut) sauront vous embarquer dans cet underground fait de fête, d’affirmation et de lutte !
Il y a plus sympathique que Salvatore Riina. L’homme, originaire de Corleone en Sicile, aurait commandité, tout au long de sa carrière mafieuse, plus de 150 meurtres. En effet. En deux épisodes, Mosco Levi Boucault raconte l’histoire du « Parrain des parrains ». Sa montée en puissance d’abord, dans Le Pouvoir par le sang. Comment d’enfant de paysans pauvres il est devenu l’homme puissant, redouté et dangereux, qui terrorisa population et institutions italiennes. Et comment son règne prit fin, dans Corleone, la chute : attaqué par la justice et le juge Falcone, accusé par des repentis, jugé, condamné…
La Mafia, on en a des images en tête, ce sont des images nourries de cinéma : « le sujet se prête magnifiquement à la mythification – des assassins qui seraient aussi « des hommes d’honneur », membres d’une « famille » résistant grâce à leur courage et à leur dévotion, écrit Charlène Dinhut, qui programme le film. L’issue de l’enquête menée par Mosco Levi Boucault est pourtant sans appel : “nous étions vraiment des bouchers”. » Corleone, le parrain des parrains se détache des mythes, expose les faits, mène des entretiens avec des repentis… et interroge aussi l’inévitable mise en scène et la fascination que ces histoires exercent sur nous : « ici encore, l’Histoire est tout aussi incroyable (mais en pire) que la fiction ».
Bons films !
PS : tous les autres films d’Alice Diop sont disponibles en location : Clichy pour l’exemple, La Mort de Danton, La Permanence, Vers la tendresse.