Malika, le Brésil et Champollion.
Commençons sans détour par notre grand Coup de cœur de la semaine ! 143 rue du désert de Hassen Ferhani. Sorti en salle en juin 2021, lauréat du label Oh My Doc!, nous sommes très heureux de vous le présenter aujourd’hui !
Il y a un prénom : Malika. En arabe : la reine. Malika est la reine d’un territoire minuscule au milieu du désert algérien. C’est un petit relais posté là, où s’arrêtent voyageurs et routiers : on a besoin de cigarettes, d’œufs, de café et de parler. Le lieu est improbable, et il est un formidable centre d’attention pour le réalisateur, qui dans son précédent film, Dans ma tête un rond-point (en location) avait déjà scruté avec une grande force un huis-clos et – surtout – les personnes qui l’habitent. Le talent de sublimer les rencontres, voici ce qui frappe encore une fois dans ce film : ensemble, Hassen et Malika fabriquent un espace plein d’empathie et d’attention. Un espace qui fait non seulement le portrait de la reine du lieu, de son choix de vie radical et décidé, mais aussi celui d’une société. Du beau milieu du désert, au 143 de la rue, on voit un pan de l’Algérie. Et c’est très beau.
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Le 2 octobre prochain se tiendra le premier tour des élections présidentielles brésiliennes, dans un contexte politique extrêmement complexe. Par un écho plus ou moins lointain avec cette actualité, nous vous proposons 3 films qui posent un œil sur le Brésil.
Commençons par un plan-séquence marquant. Une seule prise de 15 minutes dans laquelle la discorde sociale se révèle à l’image avec une violente évidence. Le titre du film ne s’y trompe pas : Battle. Qui évoque non seulement des joutes verbales improvisées, mais aussi sa traduction littérale : une bataille, un combat. Le champ de bataille est ici la rue : c’est jour d’élection au Brésil en 2018 et les esprits s’échauffent vite. Le film, tiré de rushes pour un documentaire sur l’extrême droite, est une tranche de présent que l’équipe de réalisation a laissée se dérouler, qui se charge progressivement d’une tension qui confine à la violence. Lorsqu’on sent que le débat devient vain, que le pouvoir des mots est limité, que la volonté de compréhension de l’autre disparait, oui, on sent la violence, celle qui touche aux corps, toute proche.
En attendant le carnaval est un film sur le paradis de l’auto-entrepreneuriat, du statut d’indépendant, de la micro-entreprise, de la liberté individuelle ! Une ville, Toritama, consacrée à la fabrication de jeans. Et des ouvriers qui triment. Un film sur les mirages et les bouleversements engendrés par le néolibéralisme. Lisons les mots de Caroline Châtelet, programmatrice : “Si la ville – comme la société brésilienne – s’est transformée, ce n’est pas pour le meilleur. Les ouvrier·es sont devenu·es leur propre patron·ne, mais exit les protections sociales et le droit du travail ; les congés payés et les horaires fixes.” Ne reste plus qu’à attendre les vacances – ou le carnaval. Mais est-ce une vie, d’attendre le carnaval ?
Pour compléter cette programmation autour du Brésil, vous trouverez également Romances de terre et d’eau. Une autre forme de travail occupe ici les paysans sans terre du Nordeste : celle qui consiste à faire avec la terre aride et la pauvreté. Et le film nous montre comment on tient, malgré tout. C’est avec l’amour et la poésie, la danse et les rituels, “qui nous aident à perdre la honte, à affronter les choses”. La fête, oui, et la force de la culture, qui permettent de garder la dignité…
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En septembre 1822, il y a 200 ans, Jean-François Champollion se serait écrié : “je tiens l’affaire !” lorsqu’il parvint à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens. Il est communément admis que le déchiffrage des textes de James Joyce n’est pas non plus chose aisée. Les membres de la Joycean Society s’y attellent pourtant. Depuis plus de 30 ans, ils lisent et relisent le même texte, Finnegans Wake, ensemble. “Une bande de grands enfants” qui se réjouissent des mots, qui plongent avec gourmandise, entre amusement et recueillement, dans les trésors de la langue et du livre… “leurs doigts caressent les feuilles, saturées de notes, comme des talismans” écrit Charlène Dinhut… Nous vous invitons à entrer dans leur obsession et à partager avec eux ce luxe d’une activité absolument non essentielle…
Enfin, essentielle est la nécessité de savoir décrypter les images. C’est ce que font les réalisateurs Jayce Salloum et Elia Suleiman dans Introduction à la fin d’un argument. En montant de manière libre et expérimentale des extraits de médias, de films de cinéma, de dessins animés, ils dressent une critique frontale de notre œil occidental : “l’impérialisme culturel n’est rien d’autre que le chien de garde du colonialisme économique et politique occidental.” conclut Federico Rossin. Une rareté !
Bons films !