En tant que projet architectural, la Tour de Babel, c’était quand même assez gonflé. 43 ans de chantier, 600 000 personnes embauchées, et des conditions de travail pires que sur un stade de foot au Qatar. Sur les raisons de cette entreprise (qui dans la version du Coran était très précisément pharaonique), les interprétations divergent. Il se serait agi de se préserver d’une nouvelle montée des eaux – le Déluge était encore très présent dans les esprits. Pas si bête, vu du 21e siècle. Mais il aurait surtout été question de se mesurer, en tant qu’humain, à la puissance divine. Et ça, Dieu, il aime pas trop.
C’est ainsi que nous fûmes dispersés sur la Terre, et surtout que nous perdîmes notre langue universelle, pour nous mettre à parler des dizaines de langues différentes – ce qui rend en effet la communication entre maçons plus complexe.
Dieu, qui n’est même pas capable de sauver la reine, n’avait pas pensé que sa prétendue punition apporterait au contraire aux humains une richesse immense, faite de diversité, de différence et de découverte. Il n’avait pas prévu qu’en 2013 au collège de la Grange-aux-Belles à Paris, Brigitte Cervoni, professeure, rassemblerait 24 élèves de 24 nationalités différentes et que cela serait une expérience magnifique. Nous vous invitons alors cette semaine dans La Cour de Babel, un film de Julie Bertuccelli. Un an passé aux côtés d’adolescents de toutes origines dans une classe d’accueil. Un an d’écoute attentive et de mots parfois mal alignés. C’est un film qui fait rentrer de la lumière dans les salles de classe et qui montre la beauté qu’il y a, même lorsque la réalité est dure, à donner un vrai sens au mot accueil.
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Ranuccio Bianchi Bandinelli était un archéologue italien du début du 20e siècle. Il est aussi l’auteur d’un ouvrage intitulé Quelques jours avec Hitler et Mussolini. C’est qu’en 1938 il fut convoqué par les autorités italiennes pour emmener les deux dictateurs en visite culturelle à Rome et Florence. De ces quelques jours à les côtoyer de près, il tira des observations qu’il entreprit de consigner dans son petit carnet. Des anecdotes, c’est-à-dire des faits inédits que nul autre aurait pu relater. Leurs apparences physiques, leurs orgueils, leurs manières de se jauger l’un l’autre, leurs ridicules terrifiants. Bandinelli était donc Un homme médiocre en cette période de prétendus surhommes. Angelo Caperna, qui réalise le film à partir des écrits de Bandinelli, en tire une œuvre qui nous plonge dans cette mémoire, en particulier grâce à un usage prolongé de la musique et des archives. Un film qui nous plonge dans la banalité de ces hommes confrontés à la culture, et qui nous questionne sur la position des personnes ordinaires lorsqu’une société se trouve prise dans le piège du fascisme.
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Lorsqu’une société se trouve prise dans le piège de la violence policière, quel position adopter, pour les personnes ordinaires ? Contraindre nous en montre un certain nombre, de ces positions : à genoux, les mains derrière la tête, par exemple. Le film reconstitue en images animées des agressions perpétrées par des policiers en France, ne nous laissant voir que les mouvements de l’agressé. Il nous rappelle en un geste cinématographique très fort que le pouvoir, qui a le monopole de la violence, est en capacité de blesser et d’humilier. Il nous rappelle qu’il s’agit là de techniques, et non de bavures ou de dérapages. Il nous rappelle que la manifestation de rue est devenue une sortie dangereuse, il nous rappelle que la police tue.
Ce film du duo fleuryfontaine fait partie de notre programmation Premières Bobinesconsacrée au Fresnoy – Studio national des arts contemporains. Depuis 25 ans, de nombreux films se composent là-bas à Tourcoing, dans ce centre de formation, de production et de diffusion artistique. Notre programmatrice a choisi 4 films qui cherchent diverses directions de cinéma. Nous vous invitons par exemple à tenter de rencontrer Teresa. Car qui est vraiment Teresa ? Elle est l’amie de la réalisatrice, qui dix ans auparavant avait pour habitude de filmer tous ses rendez-vous “galants”. Difficile de bien la cerner, Teresa, car elle n’est alors racontée que par ces anciens amants, ces anciennes conquêtes, hommes épris d’elle par le passé qui reviennent sur leur rencontre avec leurs mots d’hommes et leur regard dit “masculin”. Alors, comme l’écrit Alizée Mandereau, qui a programmé ces films : “Les stéréotypes se ramassent à la pelle, mais tout le monde joue au même jeu, alors on rit un peu.”
Vous trouverez également dans cette Première Bobine l’expérimental Planet A de Momoko Seto, une impressionnante visite d’un monde qui, s’asséchant, ne devient que cristaux de sel… Mais aussi une très étrange visite de la mythique fabrique de caméra Aaton, une étrange rencontre de son mythique créateur Jean-Pierre Beauviala aux côtés de… deux voleuses, Pénéglote et Polylope, qui parlent ensemble une langue imaginaire. Tiré d’un scénario de Luc Moullet, c’est le film La Rouge et le Noire, réalisé par Isabelle Prim.
Bons films !