Complicité des personnages, scènes de transe et fiction… Sans nul doute l’esprit de Jean Rouch plane au-dessus du film de Esther Mazowiecki et Leszek Sawicki. Dans la famille Bomata, il y a… n’est pas seulement la rencontre avec une famille de coupeurs de canne de l’île de la Réunion. C’est une immersion par le cinéma dans un univers de croyances, rites et compagnonnage avec les esprits. Ces pratiques gardées secrètes plongent leurs racines dans le passé esclavagiste de ce département français. Elles se confrontent aussi au bouleversement du mode de vie créole, menacé par la vie moderne et l’urbanisation. Un film qui nous révèle une dimension méconnue de cette île à la puissance tellurique.
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Dans la famille de Laetitia Carton, c’est une menace invisible qui plane. La maladie d’Huntington, alias La Pieuvre, est une maladie génétique neurodégénérative qui s’insinue progressivement dans la vie et le corps des proches de la réalisatrice. Une “emmerde maximale” résume Pauline David qui programme le 1er long métrage de la cinéaste et écrit à son propos qu’il “se cogne les difficultés sans pathos, sans omettre non plus de prêter attention à ce qui fait vie dans nos quotidiens (la nature au réveil, les ouvriers au travail en face de chez elle, les yeux si ronds du petit chat…). Au départ seulement voix off, la cinéaste prend corps peu à peu, et nous embarque dans un combat qu’il n’est pas possible de vivre seule.”
Cette présence, cette voix à la 1ère personne, et surtout le partage généreux de ce qui la traverse, se retrouvent dans toute l’œuvre de Laetitia Carton. Nous vous proposons cette semaine de découvrir trois films de cette réalisatrice française qui trace un chemin singulier dans la production actuelle.
Développé pendant ses études à Lussas, il lui a fallu plus de 10 ans pour réaliser J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd. De sa voix douce et déterminée, Laetitia Carton y transforme ses colères et indignations en hommage à ses ami·es sourd·es, artistes, chercheur·euses et toutes celles et ceux qui luttent pour défendre une culture et une identité, notamment à travers l’existence et l’apprentissage de la langue des signes.
Le Grand Bal, son dernier long métrage, en compétition officielle à Cannes en 2018, nous amène dans une autre communauté, celle des danseurs et danseuses qui se retrouvent chaque année à Gennetines pour 8 nuits et 7 jours de bal trad. Là encore, il s’agit de partage et d’être ensemble. Un film qui fait du bien. Après ces années de pandémie et de confinement, il nous donne envie de retrouver tout autant les parquets que les salles obscures.
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À découvrir également cette semaine, Forensickness, un objet étrange, volontairement hydride. Dans celui-ci, la chercheuse et artiste Chloé Galibert-Laîné – déjà remarquée pour son Watching the Pain of Others (accessible à la location) – questionne à nouveau notre rapport à la vérité et aux contenus présents sur le Net. Cette fois, autour des images amateurs des attentats terroristes de 2013 à Boston.
Enfin, c’est un Cioran sinon rieur du moins vivant et généreux, que l’on découvre dans E.M. Cioran, marginal absolu. Dans ce rare entretien accordé à la télévision belge en 1973, l’écrivain et philosophe se dévoile et nous parle de son rapport au monde, nous livrant quelques aphorismes et clefs pour comprendre sa pensée et sa vie.
Bons films !