Nous, le peuple, nous mettons régulièrement des bulletins dans des urnes et c’est la démocratie. Nous nous exprimons librement au bistrot et c’est la démocratie. Nous sommes égaux devant la loi. Nous aurions tort de nous plaindre. Nous manifestons sans avoir peur de nous faire tabasser. Nous faisons confiance à nos députés.
Nous, le peuple, nous avons délégué il y a 5 ans les conditions de notre vie quotidienne à des entrepreneurs de leurs propres personnes qui ont maintes fois fait la preuve de leur irresponsabilité et de leur violence – toutes formes de violences. Nous avons fait un petit barrage de brindilles qui a largement laissé passer la saleté qu’il aurait dû contenir. Nous avons été dépossédés – par la force parfois, par le mensonge souvent, ou par le simple truchement de notre système électoral et du principe sacré de la démocratie représentative – de tout débat, de tout pouvoir. Ainsi va notre démocratie. Et pour en changer les règles, difficile de compter sur ceux – et celles – qui en tirent profit.
Nous le peuple, de Claudine Bories et Patrice Chagnard, propose de suivre une expérience passionnante. Celle qui consiste à se réunir et à parler de politique, de l’organisation de la société, d’égalité devant la loi, de reconquête d’un pouvoir d’agir sur nos vies. Avec ce projet : réécrire une constitution pour notre République. Des lycéens, des prisonniers et les membres d’une association de quartier travaillent ensemble, échangent des idées, se proposent des textes, et font du verbe une matière pleine et entière, une matière politique dans laquelle les mots veulent dire quelque chose. Et ce n’est pas rien. C’est déjà beaucoup.
Il nous faudra parler. Nous réunir. Travailler ensemble à retrouver du pouvoir de toutes les manières possibles. Qui que nous soyons, quoi que nous pensions.
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Parce que c’est Pâques, parce que c’est Pessah, trois films.
Dans le premier, on plante des clous. Cène est un jeu de construction. Des ouvriers construisent très matériellement le décor du plan fixe (avec des planches et des vis, des tasseaux et des tissus), qui prend progressivement l’apparence d’une peinture italienne du 13e siècle. Un film-performance qui étonne constamment le regard, où l’on peut croiser Pierre, Jésus ou bien encore Judas.
À l’époque de Pâques ont lieu non loin de Naples les fêtes de Notre-Dame-des-Poules. Pagani, de Elisa Flaminia Inno, relate l’organisation de ces festivités en suivant en particulier le groupe des femminielli, figures androgynes dans la tradition culturelle napolitaine, censées apporter chance et magie. Des bigots et bigotes très loin de leurs atours traditionnels, qui réconcilient sacré et profane en témoignant d’un réjouissant sens de la communauté, qui tranche avec l’individualisme de la société contemporaine…
Enfin, Pork and Milk, film marquant de la réalisatrice Valérie Mréjen, nous fait entendre la parole de ceux et celles, à Tel-Aviv, qui ont eu la force, l’audace, le courage, la nécessité, de quitter leur milieu juif ultra-orthodoxe. Le porc et le lait : l’un est signe de mort, l’autre de vie, et jamais dans la tradition juive ces deux-là ne doivent cohabiter. Notre programmatrice Caroline Châtelet voit dans cet interdit un parallèle avec le dilemme des personnages : “Qu’il·elles parlent caché·es ou à visage découvert, toutes et tous énoncent en creux le double interdit ou double renoncement induit par leur choix (et qui résonne avec ceux touchant le porc et le lait) : quitter la religion signifie aussi ne plus voir la famille, les ami·es religieux·ses – car devenir infréquentable pour elles et eux.”…
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Trois autres films prennent place dans notre programmation de la semaine : une sélection Premières bobines consacré aux APACH, ateliers de réalisation sis à Bruxelles, au sein de l’école HELB.
Vous y trouverez notamment le beau portrait Et Arnaud, réalisé par le frère dudit Arnaud, qui filme pour rencontrer à nouveau celui qui s’est perdu loin dans l’alcool. Jimmy Deniziot en parle avec ses mots : “Comme les vieux rois détrônés des contes, dont le visage attire avec autant de beauté l’ombre que la lumière, Arnaud, un Guillaume Depardieu enfantin et foutraque, d’une grande douceur et d’un feu furieux – erre.” Et de poursuivre sur “la grâce singulière d’un visage ; la simplicité des échanges ; la retenue d’Arnaud, comme intimidé par le fait d’être filmé – mais qui parfois se brise, et laisse affleurer la noirceur, la violence et la douleur.”
Découvrez également dans cette sélection ce que c’est que d’assister à un procès, et l’effet que ça fait, dans Suspension d’audience. Ou encore la quête d’un fils vers son père, dans Mon poète, un voyage sentimental et la découverte d’un mot : saudade.
Bons films !