“Il est dit qu’un facteur cycliste roule à 6,19 km/h lorsqu’il y a entre 4,6 et 6 points de distribution sur une distance de 100 mètres, pendant qu’une voiture avance à 7,32 km/h ; ou qu’il faut 3,78 “centiminutes” pour remettre une lettre dans une boîte aux lettres insérée dans une batterie de 9 à 12 boîtes.“*
Sur ce type de bases de calcul s’organisent les tournées de milliers de facteurs en France. La manière dont ils conduisent, dont ils passent de boîte en boîte, d’usager en usager – pardon : à présent il est conseillé de dire “client”, à La Poste – est conditionnée par ces “durées théoriques”, produites par un “organisateur” qui n’a jamais parcouru les tournées en question.
Alors ça fait quoi, d’être soumis à cet arbitraire venu d’en haut, de se voir nier sa compétence professionnelle au profit d’un calcul d’ingénieur comptable ? Ça fait quoi, de faire partie d’un rouage, et de ne plus faire que ça ?
Et bien, ça fait sûrement pas mal de rêves de travail, ou de cauchemars. Du genre de ceux qui nous sont racontés dans Rêver sous le capitalisme. En passeuse de rêves, Sophie Bruneau nous fait entendre des témoignages banals et glaçants, et parvient à nous faire sentir comment le travail et ses duretés peuvent coloniser jusqu’à ce que nous avons de plus intime : notre sommeil, et l’expression de nos inconscients.
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Du coq à l’âne : Latcho Drom, de Tony Gatlif est notre Coup de cœur de la semaine. De l’Inde jusqu’en Europe de l’ouest, c’est un film-parcours, qui fait le portrait d’un peuple, les Roms, en musique et en Cinemascope. La musique, ça fait quelque chose sur les visages. Et cette musique-là – ces musiques-là –, ça fait quelque chose aux corps mêmes qui la jouent, qui la dansent, ça les fait se tordre un peu, ces visages et ces corps, et on ne sait pas trop si c’est de la douleur ou quoi. C’est un film où se mêlent gravité et légèreté, qui parle de liberté et de courage, et qui trace une fresque colorée et entraînante, qui transmet une irrésistible envie de danser, d’aimer les autres et le cinéma !
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Découvrez ci-dessous le reste de notre programmation de la semaine : trois films italiens issus de la formation FILMaP dédiée aux jeunes auteurs, située aux environs de Naples – c’est sur la plage Premières Bobines !
Mais aussi Invisible Paradise : le quotidien de trois sœurs d’une famille rurale modeste en Biélorussie, filmé “du côté de la vie”. C’est que, même aux environs de Tchernobyl, où souvent se rappelle à l’esprit la catastrophe passée, la nature a sa beauté et ses belles lumières du soir !
Bons films !
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*Nicolas Jounin, “Le calcul de La Poste faisant foi“, La nouvelle revue du travail [En ligne], 14 | 2019