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•• Cette semaine sur Tënk – 1983, le sens de la marche

6 octobre 2023

Soit d une droite passant par Marseille et Paris. On peut définir deux « sens » sur la droite d : le sens 1, de Marseille à Paris ; le sens 2, de Paris à Marseille.

C’est dans le sens 1 que se déplaça la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, il y a 40 ans. Partie dans une quasi indifférence à Marseille le 15 octobre, suivant la direction de la droite d, elle s’acheva triomphalement à Paris le 3 décembre, lors d’une manifestation réunissant environ 100 000 personnes. À l’occasion de cet anniversaire, Tënk s’associe à la Cinémathèque idéale des banlieues du monde – un projet initié en 2021 par la cinéaste Alice Diop et mené depuis par les Ateliers Médicis et le Centre Pompidou – pour concocter l’Escale de la semaine, intitulée 1983, le sens de la marche.

Quel sens a-t-elle eu, la Marche, dans l’histoire française ? D’où est-elle venue et où est-elle allée ? Tangui Perron, historien, et Samba Doucouré, programmateur, sont allés puiser dans le corpus des 300 films constituant aujourd’hui la Cinémathèque idéale des banlieues du monde pour évoquer en 5 films les origines et les conséquences de cet événement politique et médiatique majeur.


Roman de la « génération beur », Les Marcheurs, chronique des années beur revisite l’histoire méconnue de la Marche de 1983 et raconte l’irruption sur la scène publique des jeunes arabes de la « seconde génération », leurs espoirs comme leurs désillusions, leur âpre combat pour être reconnus comme des Français à part entière et rappelle ainsi le long processus d’enracinement des Maghrébins en France.

Mais l’histoire peut remonter à l’année précédente. 1982. François Mitterrand, président de gauche (encore pour quelques mois), est au pouvoir. En avril une grande grève éclate chez Citroën à Aulnay-sous-Bois. Largement menée par des travailleurs immigrés, elle dure 5 semaines et remporte la victoire : augmentations de salaire, dignité, liberté syndicale, possibilité d’exercer son culte religieux dans l’usine… Pour la première fois, la main d’œuvre immigrée se dresse et se montre. Le film Haya – document rare ! – raconte cette histoire de l’intérieur.

Les conséquences de la Marche furent nombreuses – notamment une éphémère « mode beur » qui occulta d’ailleurs la part non maghrébine de la foule. Des années plus tard, l’engagement des héritiers de l’événement de 1983 – qu’ils y aient participé ou qu’ils soient « enfants de » – mord sur le terrain de la politique « classique », avec ses campagnes et ses meetings. Candidats pour du beur ? de Samir Abdallah suit des filles et fils de travailleurs immigrés investis par les partis politiques pour incarner ce qu’on appelle depuis peu « la diversité ». Notez le point d’interrogation du titre : les partis politiques traditionnels veulent-il vraiment de ces candidats ?

La Cité politique, de Florence Gatineau-Sailliant Bex poursuit sur le même thème, quelques années plus tard. En 2014-2015, la réalisatrice a suivi Fatou, Haïkel, Nassim et Yassin dans leur quotidien de militants dans leurs villes et leurs quartiers, sur des listes de gauche ou de droite, tous décidés à « rendre le pouvoir au peuple ». Trentenaires, lointains héritiers la Marche (seraient-ils nés en 1983 ?), ils passent d’immeuble en immeuble, encourageant la population à voter, « vendant » leurs candidats. Et plus tard, le film leur donne l’occasion de revenir sur cette expérience de néophyte en politique, de « jeunes issus des quartiers populaires » et des obstacles rencontrés.

Enfin, Question d’identité, de Denis Gheerbrant est une rencontre. Plusieurs rencontres en fait, en 1986, entre le cinéaste et trois jeunes gens : deux frères et un cousin. Leur vie en Seine-Saint-Denis, leurs voyages en Algérie, dont leur famille est originaire, et eux au milieu, à vingt ans. C’est un film d’une grande douceur, sur le passage à l’âge adulte lorsqu’on a plusieurs rives dans sa vie, lorsque l’identité est une question intime, qui ne demande peut-être pas de réponse…

Terminons avec quelques mots du texte de Tangui Perron pour cette Escale, qui, estimant que certains de ces films pouvaient provoquer une certaine amertume – la Marche de 1983 aurait été un espoir, une promesse ? – écrit : « Il ne s’agit pas cependant de désespérer complètement ni les cinéphiles ni les citoyens et citoyennes. Depuis la Marche, de nombreuses et nombreux documentaristes, héritiers directs de l’histoire de l’immigration, ont dressé d’émouvants portraits de leurs darons et daronnes, peut-être en réactions aux silences et aux caricatures médiatiques des années 1980-1990. La banlieue (ou certaines de ses fractions) est également devenue un beau territoire documentaire. Mieux filmer les habitantes et habitants des quartiers populaires est peut-être une des conditions pour mieux les entendre – et agir ensemble ».

Bons films !

Nous remercions le service audiovisuel des Archives départementales de Seine Saint-Denis, et Cinémétèque.