Le blog de Tënk > Programmation

L’urgence climatique vue par le prisme documentaire

1 avril 2021

Depuis quelques années l’écologie est partout. Dans nos préoccupations quotidiennes ; quand il s’agit de réduire le gaspillage énergétique ou d’abandonner nos bonnes vieilles habitudes carnassières. Elle se retrouve également, comble de cynisme, dans les coupures publicitaires des grandes entreprises qui nous promettent sans cesse l’expérience zéro carbone avec des produits assemblés à l’autre bout du monde.

Depuis 2014 et la première Marche pour le climat à Paris le curseur social et politique aussi se verdit toujours plus au fur et à mesure que les cortèges se remplissent et se rajeunissent. Il faut dire que face aux périls climatiques qui nous sont promis depuis des décennies, de nouveaux moyens d’actions et mouvements fleurissent au point qu’il est impossible d’ignorer que ces manifestations représentent aujourd’hui des mouvements sociaux à part entière.

Le champ artistique et culturel ne pouvait évidemment pas être étanche à ces bouleversements. D’abord et avant tout parce que le documentariste rend compte du réel. Impossible si on s’intéresse un tant soit peu sincèrement à l’humanité de ne pas faire un pas de côté pour l’observer dans son environnement naturel. Impossible également de ne pas étudier sa posture face à son écosystème ; qu’il soit acteur ou spectateur, protecteur ou destructeur.

Nous voulions, à travers ce focus documentaire, ni observer l’humanité seule, ni la nature seule, mais bien comprendre la dialectique qui nous lie invariablement. Qui nous pousse à détruire, à traverser ou à créer. Et bien trop souvent à adopter des comportements contradictoires. Comme dans Furusato, rester malgré tout où l’humain persiste à continuer à vivre dans un espace qu’il a rendu hautement cancérigène, ou dans Wild Relatives où la science a beau avoir permis des espèces supérieures de plantes qui n’atteignent pourtant pas la vertu des semences anciennes.

Le cinéma documentaire produit également nombre d’œuvres où l’on voit l’homme spectateur de son environnement, où son savoir et ses capacités ont finalement peu de prises sur la complexité ou la majesté d’un écosystème à l’instar de La Vallée des Loups ou du film Les Hommes.

Nous voulions également partir à la rencontrer et donner la parole à celle et ceux qui refusent de se satisfaire de cette dualité destructeur/observateur pour au contraire abandonner les vieux schémas au profit d’un modèle davantage symbiotique, sans pourtant être parfait comme dans Wild Plants et L’éloge de l’arbre.

Dans cette période si particulière de repli chez soi, ce focus documentaire est bien plus un brouillon qu’un manuel pour l’action, qui donne envie de se tourner vers l’autre ; aussi bien en cultivant son potager qu’en marchant pour le climat. Et – quasi – hasard de notre calendrier il précède notre escale de la semaine prochaine, qui nous mènera sur La piste animale.

 

Furusato : rester malgré tout

Réalisé par Thorsten Trimpop (2016, 90 minutes)

Notre avis : Ce film de Thorsten Trimpop, visuellement remarquable, tout en atmosphères, montre des gens au cœur d’une catastrophe qui dure : celle qui suit un accident nucléaire. Pourquoi vivent-ils dans cette région, dont ils savent qu’elle recèle un danger mortel ? Le réalisateur pose cette question en suivant les traces de l’activiste Bansho Miura. Ce moine bouddhiste, père de 6 enfants, s’est rendu dans la zone sinistrée pendant un an après l’accident du réacteur, pour sensibiliser les gens aux risques des radiations et fustiger le manque d’action gouvernementale. Face à des rapatriés stoïques et à une politique de dissimulation et de banalisation, il a tout d’un Sancho Panza japonais, qui se bat pour les autres tout en risquant sa propre vie.

Le Résumé : Il y a dix ans, l’accident du réacteur de Fukushima a montré une fois de plus combien nous sommes impuissants face à la puissance destructrice des radiations nucléaires. Dans “Furusato : rester malgré tout”, le réalisateur Thorsten Trimpop montre à quel point les habitants de la région de Fukushima ont été déracinés et marqués par la catastrophe. Pourtant, ils vivent à nouveau dans ces zones contaminées. Des personnes âgées, mais aussi des familles avec enfants. Ils savent tous qu’ils paieront le prix de ce retour, mais leur sentiment d’appartenance (en japonais : furusato) est plus fort que la raison.

 

Wild relatives

Réalisé par Jumana Manna (2017, 65 minutes)

Notre avis : L’artiste Jumana Manna filme un ballet de mains, de bras, de trajets, pour témoigner du travail du Centre de recherche syrien déplacé au Liban. Une fois les graines dupliquées, la structure restitue les stocks à la Réserve de Svalbard, ce lieu de la science-fiction déclinée au contemporain où, sous le permafrost de l’Arctique, sont préservées des graines du monde entier.
“Wild Relatives” rend compte de l’articulation entre ce transfert inédit – jamais jusqu’alors ces réserves n’avaient servi – et les vies qui s’accordent avec soin au travail du Centre. Les humains aussi ont été déplacés, qui mènent ces recherches et travaux agricoles. Si le temps est à la reconstruction, parfois même à la danse, si le rythme du film est doux et méditatif, témoignant des multiples savoirs à l’œuvre, il atteste aussi des tensions entre les approches industrielles et biologiques de l’agriculture, des défaillances des politiques agricoles, et, à l’horizon, pose la question des catastrophes à venir.

Le Résumé : Basé à Alep, le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA) a perdu sa collection de graines lors de la guerre et a été contraint à l’exil. Réimplanté au Liban, il a puisé dans les stocks sauvegardés à la Réserve mondiale de semences de l’archipel norvégien du Svalbard pour dupliquer ses graines – un transfert qui engage le quotidien d’acteurs géographiquement et politiquement éloignés.

La Vallée des loups

Réalisé par Jean-Michel Bertrand (2016, 90 minutes)

Notre avis : Une fois n’est pas coutume, on vous offre du grand spectacle avec en invités de marque : une chouette, des bouquetins, des paysages à couper le souffle. Mais l’animal le plus étrange de ce film est sans nul doute cet homme obstiné qui passe des années à bivouaquer dans des lieux improbables, à se camoufler sous des branches et qui arpente la montagne dans un seul but : rencontrer le loup à l’état sauvage. “Comme ils passent leur temps à contrôler leur territoire : je vais faire comme eux, je vais pisser partout.” Dans des moments drôles et touchants, Jean-Michel Bertrand essaie de penser en animal. Puis soudain, le pistage et les rôles s’inversent. Et si c’était le loup qui marchait dans les traces de l’homme, l’observait ? Plus qu’un film animalier, il s’agit d’une rencontre avec un personnage haut en couleur, un film à la première personne, attachant et sincère à regarder en famille.

Le résumé : Il existe encore aujourd’hui en France des territoires secrets. Ce film est une quête personnelle, l’histoire d’un pari fou tenté par un passionné rêveur, un anti-héros capable de briser toutes les barrières pour parvenir à son but : rencontrer des loups sauvages dans leur milieu naturel. Après trois années passées sur le terrain à bivouaquer en pleine nature par n’importe quel temps, le réalisateur parvient à remonter la piste des loups. Petit à petit, il observe, se rapproche et finit par se faire accepter par la meute. Contre toute attente les prédateurs magnifiques offrent alors un peu de leur intimité à ce drôle de personnage. Mais le film pose aussi la question des limites de cette intimité.

 

Les Hommes

Réalisé par Ariane Michel  (2006, 95 minutes)

Notre avis : Quand après plus d’une heure de film, les premiers propos articulés se font entendre, le spectateur s’est interrogé depuis longtemps sur le sens du titre. Ces “hommes”, donc, incarnent-ils l’espèce ?
Grâce à un alliage plastique des sons, des images, et de leurs durées, ce film induit une méditation, mêlant spéculation et contemplation. Les matériaux sonores participent pour beaucoup aux questionnements. Sous la présence continuelle d’éléments marins et de vents, tout impact de présence stimule notre pensée : Nature ou environnement ? Découverte ou pénétration ? Espace ou espace-temps ?

Le résumé : Aux confins d’une mer gelée, un bateau s’approche de la terre. Des silhouettes humaines en sortent, elles paraissent étranges. La glace, les pierres et les bêtes du Groënland assistent depuis leur monde immuable au passage de scientifiques venus un été pour les étudier.

 

 

Wild Plants

Réalisé par Nicolas Humbert (2016, 108 minutes)

Notre avis : Dernier film du réalisateur suisse Nicolas Humbert, “Wild Plants” propose une vivifiante plongée au cœur de différentes expériences dans lesquelles l’homme a recréé un lien profond avec le monde végétal et la terre. Ni enquête sociale, ni film à thèse, le film avance plutôt par vagues, à la manière d’une improvisation de jazz, tissant une riche trame qui donne à voir un nouveau rapport désirable de l’homme au vivant, nécessairement poétique.

Le résumé : Des jardiniers urbains dans un Detroit postindustriel, l’activiste indien d’Amérique Milo Yello Hair et son projet agricole, le jardinier rebelle Maurice Maggi qui a changé le visage de Zurich avec ses plantations sauvages, et l’innovante coopérative agricole Jardins de Cocagne à Genève… “Wild Plants” dresse les portraits de ceux qui délaissent le confort de la société de consommation et retournent à la terre, pour créer de nouvelles façons d’être ensemble et d’être au monde.

 

 

Éloge de l’arbre

Réalisé par Éric Watt (2012, 33 minutes)

Notre avis : Manifeste poétique et écologique, d’après le texte paru dans “Les Carnets du paysage” de Gilles Clément. Deux hommes, amis de longue date, discutent à une table, tandis que le soir tombe. Ils évoquent la singularité des arbres et des hommes, le jardin planétaire, le nécessaire espoir, l’alternative possible à ce monde. Tandis qu’un arbre change au gré des quatre saisons, qu’une femme devient plante et s’immerge dans un jardin avec les autre végétaux, tandis que des marcheurs par centaines se mettent en route sur un nouveau chemin… les deux hommes inventent un autre monde.

Le Résumé : À la fin d’”Éloge de l’arbre”, le botaniste Francis Hallé a cette phrase hautement transgressive : “Ça marche mieux sans cerveau”, avant d’ajouter : “c’est ce qui me réjouit dans l’étude des plantes”. Voilà quelques siècles d’histoire humaine et de règne du Logos remballés pour l’occasion ! Ce qui a l’air d’une boutade est pourtant bien l’arrière-fond de la discussion à laquelle nous introduit cet essai filmé original. Le jardinier Gilles Clément formule autrement cette prise de conscience d’une faillite de la raison humaine : “L’écologie est un avènement, qui bouleverse le rapport à la pensée de l’homme, à la nature. C’est un choc, un vrai choc, on ne peut pas regarder les choses autrement”. L’espèce humaine s’est engagée dans un chantier crucial pour sa propre survie : penser en dehors d’elle-même, apprendre du non-humain. De toute évidence, l’étude des plantes et des arbres est devenue l’une des voies royales de cet avènement. Et cette conversation nocturne entre amis dessine des paysages inconnus et ô combien surprenants : savez-vous que l’arbre le plus vieux sur la planète se trouve en Tasmanie ? Et qu’il a “connu” Néanderthal ?