Pour son délicieux film «Lift», Marc Isaacs s’est installé dans un ascenseur pour filmer les allers-retours des résidents d’un immeuble de Londres.

Dans une tour populaire de l’East End londonien, l’Ecossais Marc Isaacs s’est calé dans un des ascenseurs et a filmé pendant des heures, chaque jour, les passagers de ces étroits cockpits faisant le yo-yo entre les étages. Lift, qui date de 2001, a été produit pour la télé, une case de 25 minutes. La tour offre un melting-pot de populations de plusieurs générations et horizons, et il n’est pas dit que tout le monde s’adore, ni ne se parle. La présence du filmeur est déjà un sujet pour qui débarque dans l’habitacle. Et en plus, il leur parle. Des microconversations s’engagent. Entre Isaacs et un jeune type rondouillet et systématiquement hilare : «On a un sauna et un jacuzzi chez nous, les trucs de base. – Vous n’auriez pas un peu trop bu ? – J’ai bu quelques bières, j’ai démissionné hier.» Ou encore avec une vieille dame peinturlurée qui paraît sortie d’un inédit de Fellini : «Comment était la soirée ? – Merveilleuse. – Que s’est-il passé ? – Personne n’est venu.»

Une dizaine de personnages récurrents entrent ou sortent de l’ascenseur et le moment attrapé entre élévation et descente attrape l’étrangeté de cet espace dont chacun sait à quel point il procure par sa promiscuité un condensé d’embarras réciproques et de claustrophobie sociale.

On peut voir ce délicieux moyen métrage sur la plateforme Tënk, dédiée au documentaire de création. Une interview du cinéaste, datant de 2009, nous renseigne sur les coulisses du tournage, et ce qui peut passer pour un dispositif simple, apte à capter la vérité ou l’épiphanie d’une rencontre, s’avère un ensemble de travaux d’approche par un assistant puis de discussions à bâtons rompus avec les intervenants choisis pour la diversité de leurs profils afin qu’au montage, Isaacs puisse pressurer toute la matière en alambic bien tassé. Même les mouches qui vibrionnent dans les plans de coupes ne sont pas maison. Il les a achetées dans une animalerie…

Par la suite, Isaacs a continué son exploration des lieux de passage comme dans Outside the Court, où il a planté sa caméra sur le parvis du tribunal de Highbury, à Londres. Aucun de ses films n’est sorti en salles en France.

Par Didier Péron – Article disponible en ligne

Lift de Marc Isaacs. Disponible sur la plateforme Tënk, dédiée au documentaire de création.