Le traditionnel rendez-vous du festival de Belfort, panorama proposé sous le titre Net Found Footage, est visible non pas seulement à Belfort, festival suspendu pour cause de réclusion, mais dans toute la France, sur la plateforme Tënk, qui depuis plusieurs années diffuse des documentaires parmi les plus riches de la production internationale. Net Food Footage, c’est, pour aller vite, l’utilisation à une autre fin que celle prévue, d’images tournées par d’autres. Il y a bien sûr pas mal de déchets dans cet étalage d’ego d’apprentis cinéastes qui s’emparent d’un travail déjà élaboré pour le remâcher avec plus ou moins de délicatesse. Par bonheur, ce mode de vision à domicile permet d’échapper à ces parasites : dès qu’apparaît un visage satisfait en gros plan annonçant qu’on va voir ce qu’on va voir, un clic et l’on passe au suivant. Et le suivant, plus d’une fois, est un bonheur.
Ainsi de la Mer du milieu (2019), de Jean Marc Chapoulié, avec la voix off de Nathalie Quintane, écrivaine. C’est un montage de bandes-vidéo enregistrées par des caméras de surveillance d’hôtels, de campings ou par des caméras urbaines, et c’est très beau. De l’ouverture, où le côté lisse, plat de la vidéo fait d’une plage méditerranéenne une plage normande, un de ces tableaux doucement embrumés de l’impressionniste Eugène Boudin, avec ses petits personnages comme esquissés vus d’une caméra lointaine, ses spectres nocturnes à l’alignement de parasols refermés, procession immobile de capucins d’on ne sait quelle religion. Toutes les raisons de se dire que ces machines-là ne sont pas dénuées de qualités de mise en scène du réel. Très beau et très inquiétant. On découvre vite que cette accumulation d’intrusions dans la vie de chacun n’est pas sans conséquences sur la société qu’elles contribuent à mettre en place. Et l’on n’attendra pas cet avertissement d’un proverbe arabe d’un des pays des bords de la Méditerranée (« celui qui surveille les gens meurt de tracas ») pour s’en rendre compte : les signes en sont très nombreux, des zooms qui, de très loin, permettent de détailler un visage à ces rebelles qui démontent une caméra sur les murs d’une église. La voix de Nathalie Quintane, passant de souvenirs d’enfance (enfance méditerranéenne, bien sûr) à des mises en garde, est un très bon accompagnement dans ce voyage à la découverte du Big Brother avide que nous nourrissons (ingénument ?).
D’autres films seraient à citer, de cette série : à chacun de les rechercher, de les convoquer chez lui.
« Celui qui surveille les gens meurt de tracas. »