Qu’elle soit descriptive, didactique, interactive voire prescriptive, la voix humaine a naturellement su trouver sa place dans l’audiovisuel dès la fin des années 20′ à l’apparition du cinéma sonore. Cette opportunité technique doit-elle cependant rendre indispensable la présence d’une énonciation orale ? Qu’est-ce qu’un film muet, sinon un film qui n’a pas besoin de la parole pour dire ce qu’il a à dire ? Dans les libertés que lui offrent sa forme, le documentaire d’auteur s’autorise à explorer de nouvelles pistes narratives en s’émancipant de la voix humaine ou en la faisant intervenir ponctuellement comme pour apostropher le spectateur. Dans cette sélection de films sur Tënk, découvrez quatre films qui rendent au silence l’espace qui lui sied parfois si bien.
[1952, 8′]
Résumé :
L’histoire de deux voisins vivant dans l’amitié et le respect jusqu’à ce qu’une fleur pousse à la ligne mitoyenne de leurs propriétés.
L’avis de Tënk :
Oscar du meilleur court métrage documentaire en 1953 et envisagé dès le départ comme un film résolument anti-guerre, “Voisins” traite de manière ludique la question du partage et du vivre-ensemble. Son côté décalé, animé, et son très court format en font un médium intéressant pour aborder de manière différente le sujet de la vie en société. Ce qui le rend aussi accessible aux plus jeunes !
Anouk Cohen et Isabelle Foucher, pour l’équipe de la Fédération des Centres sociaux et Socioculturels de France
[2019, 18′]
Résumé :
Dans le refuge pour chiens errants d’Agadir au Maroc, plus de 750 animaux trouvent aide et protection en attendant d’être adoptés par une famille. Chaque journée ressemble à la suivante, rythmée par la seule distraction des repas. Halima Ouardiri observe la chorégraphie qui régit la vie de la population animale, dont le quotidien suspendu évoque l’attente bien plus tragique de millions d’êtres humains à la recherche d’une terre d’accueil.
L’avis de Tënk :
Sous le soleil plombant du Maroc, une caméra attentive aux couleurs et aux sons observe le quotidien d’un refuge pour chiens errants. Une prémisse aussi simple qu’infiniment complexe à réaliser. Un film sans protagonistes évidents, un documentaire dont la forme aboutie est pourtant dépendante des mouvements imprévisibles de ses sujets. Portée par un véritable regard pictural, l’œuvre d’Halima Ouardiri nous plonge au cœur des multiples interactions d’une communauté de fortune. Évitant le regard anthropomorphique, elle fait corps avec ces multiples chiens pris dans un entre-deux mondes, en attente d’une adoption éventuelle. Lorsque la radio finit par évoquer la crise des migrants, on ne peut s’empêcher de tisser des liens, même si les chiens ne s’en soucient pas. Une leçon de cinéma évocateur.
Bruno Dequen, directeur artistique des Rencontres internationales du documentaire de Montréal
[2011, 11′]
Résumé :
2008. Un sous-marin à propulsion nucléaire quitte la base navale d’Édimbourg mais le capitaine présent à bord sombre dans la folie… Réalisé en grande partie à partir d’images trouvées sur Internet et d’agences de presse, ponctué par de nombreux cartons de texte, “Un archipel” s’aventure au croisement du cinéma muet, du cinéma expérimental et du storytelling hollywoodien.
L’avis de Tënk :
Devant cette incroyable et mystérieuse histoire, Clément Cogitore construit un récit littéralement sans voix : des cartons nous racontent dans le silence le déroulé des faits, tandis que des images trouvées sur internet, montées comme autant de flashs, semblent les restes éparpillés, incompréhensibles et lointains, de témoignages de l’événement. Le récit est ainsi construit autour d’un vide, d’une énigme. Que s’est-il passé ce jour là, pourquoi un homme respecté de ses pairs semble avoir soudain basculé, nous n’en saurons rien. Ce récit aussi factuel qu’elliptique, renvoie tout autant au mystère insondable de l’être humain qu’à l’omerta de l’armée et du pouvoir, lesquels ne laisseront presque rien transpirer de l’incident.
Jean-Sébastien Chauvin, critique et réalisateur
[2016, 14′]
Résumé :
Dans les Pyrénées-Orientales, Jacqueline, 85 ans, retrouve les sentiers qui mènent au Pic du Canigou. Elle est le témoin d’une mémoire qui, peu à peu, semble infuser la montagne…
L’avis de Tënk :
Il y a, sur la Terre, une sorcellerie des liens et des enchevêtrements ; l’humain y contient le monde comme il est contenu par lui. Au cœur du second film de Lise Fischer, réalisatrice rare, les entités témoignent chacune de l’existence des autres, avec déférence, exacerbées dans leur sensualité par l’usage du 16 mm, et quelque chose circule. C’est dans l’eau stagnante des mares que le cosmos gravite, tandis que la surface rocheuse se pare de la mémoire humaine et que l’éternité d’un mont se propage à la peau d’une femme. Au sein de cette symbiose orchestrée par le montage comme par l’ampleur grandissante de la bande sonore, le cinéma agit : la lumière d’une projection devient lunaire, les images cousent ensemble temps passés et présents, la femme porte de concert tous ses âges et toutes ses parentés sur les hauteurs. Lise Fischer signe une déclaration d’amour à une parente comme à toute une montagne.
Charlène Dinhut, programmatrice et commissaire d’exposition