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Le cinéma documentaire pour interroger les stéréotypes de genre

25 mars 2021

A l’occasion de la diffusion de Judith Butler, philosophe en tout genres film consacré à la célèbre professeure de rhétorique et de littérature comparée à Berkeley, Judith Butler est l’une des principales théoriciennes de ce qu’on appelle aux États-Unis les « gender studies » nous vous proposons une sélection de quatre films pour accompagner les études sur le genre en bonne compagnie.

 

Judith Butler, philosophe en tout genre

Réalisé par  Paule Zajdermann (2006, 52 minutes)

Notre Avis : « De prime abord, le programmateur concède sa perplexité face au film et son écriture formatée. Néanmoins il lui reconnaît un mérite d’importance : son souci de restituer avec justesse l’ampleur du chantier intellectuel de Butler. On y découvre une personnalité intensément habitée par ses questions, aussi précise que subversive, refusant la polémique facile. Le film est habité par l’énergie de sa protagoniste – et nous, totalement électrisés. Plus d’une fois, sa hauteur de vue et son agilité à raisonner les problèmes qui agitent l’époque impressionnent.
Le «  »trouble » » est un concept hyper-opératoire : le genre est source d’anxiété pour tout le monde – y compris pour les hétérosexuels, puisque les catégories du masculin et du féminin sont au fond impossibles à incarner parfaitement. Le genre est toujours un échec («  »je suis toujours à côté » »). À partir de ces constats, la pensée peut mieux recommencer et, peut-être, le monde se réinventer. »

Le résumé : « Professeure de rhétorique et de littérature comparée à Berkeley, Judith Butler est l’une des principales théoriciennes de ce qu’on appelle aux États-Unis les «  »gender studies » », c’est-à-dire les «  »études sur le genre » » (dont l’objet est la distinction entre les sexes comprise non pas comme biologique ou naturelle, mais comme sociale et historique).
Intellectuelle novatrice, égérie des mouvements gays et lesbiens, elle propose une vraie révolution de la pensée au carrefour de l’anthropologie, de la sociologie et de la philosophie. »

 

Normal

Réalisé par Adele Tulli (2019, 67 minutes)

Notre Avis : Qu’est-ce qui définit notre identité de genre ? Y a-t-il quelque chose d’inné qui nous pousse à préférer le rose au bleu ou nos choix sont-ils motivés par une construction sociale ? À partir d’une thèse de doctorat théorique, l’auteure recueille des fragments de notre vie quotidienne et les ordonne en suivant la croissance et l’évolution de la construction du moi, de l’enfant à l’âge adulte. Dans des images composées, qui donnent un caractère scientifique à sa recherche artistique, elle expose un parcours d’apprentissage de la vie en communauté, qui met en avant les épreuves de courage et de force bien différentes pour les hommes et les femmes. Dans le regard de la réalisatrice : de la curiosité et une bonne dose d’ironie, capable de subvertir non pas tant les stéréotypes ataviques, mais notre façon de les voir, qui cesse d’être complice de la culture dominante. Un film analytique, qui interroge également les nouvelles pratiques du politiquement correct.

Le résumé : « Normal » est un voyage dans la construction des dynamiques de genre dans la société contemporaine. Une mosaïque de séquences, visuellement spectaculaires, mettant en scène les rituels de féminité et de masculinité cachés dans les interactions ordinaires, de la naissance à l’âge adulte. Isolant les éléments un peu grotesques qui composent notre vie quotidienne, « Normal » médite sur ce qui reste imperceptible dans ce domaine – les normes gouvernantes, les mécanismes intérieurs. Ce qui est considéré comme « normal » ne paraît plus si rassurant…

 

Donna Haraway: Story Telling for Earthly Survival

Réalisé par  Fabrizio Terranova (2016, 81 minutes) – Disponible en location/VOD pour les abonné.e.s de Tënk

Notre Avis : Tout est dans le titre : « Histoire(s) pour la survie terrestre » ! Rien de moins. Il faut à l’espèce humaine des récits nouveaux qui non seulement s’opposent aux discours déclinistes mais élargissent le spectre des expériences possibles ! Compagnons domestiques, microbiote, plantes, aliens, tous les existants peuvent et doivent être associés à ces nouvelles configurations de vies à inventer. C’est un véritable appel à l’insurrection que défend Haraway (alors qu’une méduse glisse dans son dos) : « il reste un tout petit peu de temps, pas beaucoup, pour nous révolter. Il faut se mobiliser pour certains mondes, et contre d’autres. »
Le film épouse cette radicalité en nous plongeant dans un monde incertain, plein d’un mystère cosmique et de paradoxes visuels – dessinant un univers où les frontières entre réalité et (science-)fiction seraient plus poreuses et l’énergie de la pensée moins contrainte par les catégories imposées.
Electrisé par la drôlerie et la vivacité de sa protagoniste, le film est à la fois le contrepoint et l’antidote – subversif, généreux, dérangeant, en un mot vivant – de la pensée réactionnaire et débilitante qui colonise nos ondes.

Le résumé : Donna Haraway, philosophe, primatologue et féministe, a bousculé les sciences sociales et la philosophie contemporaine en tissant des liens aventureux entre théorie et fiction. Elle s’est fait connaître à partir des années 1980 par un travail sur l’identité qui, rompant avec les tendances dominantes, œuvrait à subvertir l’hégémonie de la vision masculine sur la nature et la science. L’auteure du « Manifeste Cyborg » est aussi une incroyable conteuse qui dépeint dans ses livres des univers fabuleux peuplés d’espèces transfuturistes. Le réalisateur Fabrizio Terranova a rencontré Donna Haraway chez elle en Californie. À partir de discussions complices sur ses recherches et sa pensée foisonnante, il a construit un portrait cinématographique singulier, mêlant récits, images d’archives et fabulation dans la forêt californienne.

 

The Ballad of Genesis and Lady Jaye

Réalisé par  Fabrizio Terranova (2016, 81 minutes) – Disponible en location/VOD pour les abonné.e.s de Tënk

Notre Avis : Au-delà de la performance, il y a surtout une histoire d’amour. Ces deux âmes-sœurs s’abandonnent l’une à l’autre à corps perdu, mais s’abandonnent aussi à l’art, afin de fusionner et créer leur propre identité. Nous sommes face à un hymne à la réinvention de soi et à la liberté d’être soi-même. C’est avec pudeur et tendresse que nous rentrons dans l’intimité nécessaire à la compréhension de cette dévotion. À l’instar du mouvement underground, duquel l’artiste Genesis est l’une des figures marquantes, celui-ci n’a cessé de vouloir repousser les limites, d’exploser les diktats.

Le résumé : « The Ballad of Genesis and Lady Jaye » retrace l’histoire de l’artiste Genesis Breyer P-Orridge et de sa femme et partenaire artistique, Lady Jaye, qui par amour décidèrent de se fondre en une seule entité. Artiste majeur de l’avant-garde new-yorkaise de ces 30 dernières années, considéré comme l’un des pères de la musique industrielle, Genesis a défié les limites de l’art et de la biologie. En 2000, Genesis débute une série d’opérations afin de ressembler trait pour trait à Lady Jaye, une performance risquée, ambitieuse et subversive. « The Ballad of Genesis and Lady Jaye » relate cet acte ultime d’amour et de dévotion.