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L’animation comme exutoire – 4 films pour découvrir le documentaire animé

2 décembre 2020

 

Que faire lorsque les images tirées du réel ne suffisent pas à représenter l’irreprésentable ou ne suffisent plus à dire l’indicible ? Que faire encore lorsque ces images n’ont tout simplement pas l’occasion d’exister ? Comme parade au besoin incessant de montrer les violences contemporaines, le documentaire d’auteur a su trouver dans la pudeur du cinéma d’animation un moyen d’exprimer les douleurs du Monde. Dans cette sélection de films sur Tënk, découvrez des documentaires animés qui jouent sur les représentations, pour faire exister les témoignages d’événements profondément injustes ou immoraux.

 

LE CHAPEAU DE MICHELE COURNOYER

[1999, 7′]

 

Résumé :

Dans un bar, une jeune femme danse nue. Les chapeaux des clients lui rappellent un homme qui, lui aussi, en portait quand il a abusé d’elle lorsqu’elle était enfant…

⚠ Pour public averti.

L’avis de Tënk :

Un corps de femme adulte offert au regard d’un homme dissimulé sous un chapeau. Le trait noir du dessin se transforme. La femme devient enfant, le chapeau devient organe sexuel. À moins que ce ne soit l’inverse. Sans un seul mot, le court métrage de Michèle Cournoyer nous fait éprouver la confusion des corps et des époques qui se mélangent dans une succession de métamorphoses dérangeantes. Ces quelques minutes d’animation, dans une apparente simplicité graphique, nous permettent d’accéder à la mémoire corporelle d’une femme abusée sexuellement dans son enfance. On en ressort bousculé, en tout cas imprégné d’un trouble persistant, celui de voir dans la femme les traces de l’enfant blessée.

Éva Tourrent
Responsable artistique de Tënk

 

MACHINI DE FRANK MUKUNDAY ET TETSHIM

[2019, 10′]

 

Résumé :

Par la force des choses et surtout des machines, nous sommes devenus des êtres somnambules, des damnés de la terre, des cobayes de l’histoire et de la machine.

L’avis de Tënk :

On est né caillou et on redeviendra caillou. L’un des tours de force du film de Franck Mukunday et Tétshim, c’est de représenter un pigeon en vol, un nageur, ou un enfant qui joue, en animant – c’est-à-dire en rendant vivants – des petits cailloux. C’est d’une grande virtuosité technique, mais ce n’est pas tout. Le film décrit une ville congolaise au pied d’une mine d’extraction de cobalt et/ou lithium à destination des moteurs des jolies voitures électriques qui parcourent les rues de nos villes avec leur doux son feutré. Il nous montre l’endroit où, pour ne pas polluer ici, nous préférons intoxiquer là-bas. Le choix du caillou comme matière d’animation est en plein dans le mille : chaque individu de cette ville-là est la terre même que l’on exploite. Chaque individu, en fait, est la terre même que l’on exploite.

Jérémie Jorrand
Responsable de l’éditorial et de la programmation de Tënk

 

NIJUMAN NO BOREI – 200 000 FANTOMES DE JEAN-GABRIEL PERIOT

[2007, 11′]

 

Résumé :

Le A-Bomb Dome est le nom d’un ancien centre d’affaires japonais devenu le symbole de la destruction de la ville d’Hiroshima par la bombe atomique américaine en 1945. Cette bombe fait 70 000 morts sur le coup et 200 000 morts au total jusqu’à la fin du 20e siècle. Construit en 1915, le A-Bomb Dome est le seul bâtiment à être resté debout dans l’entourage immédiat du lieu de l’explosion. Il n’a jamais été restauré ; demeuré tel qu’au jour du bombardement, il est très vite devenu le monument souvenir des centaines de milliers de morts du 6 août 1945.

L’avis de Tënk :

Comme un chercheur scientifique, un historien, un archiviste, Jean-Gabriel Périot compose son film avec des photographies glanées dans toutes sortes de sources d’archives. Toutes ces images sont placées à égalité entre elles, sans hiérarchie, ni classement esthétique, prisonnières d’un dispositif implacable. Le rythme court et le métronome de la chronologie leur assignent une place restreinte de rouage dans l’ensemble : matière avant d’être image. Film expérimental, esthétique, militant, politique. Ce court métrage est un des chefs-d’œuvre du cinématographe. Fascinant monument mémoriel.

Pierre Oscar Lévy
Réalisateur

 

LA RIVIERE TANIER DE JUNE BALTHAZARD (VOD)

[2018, 18′]

 

Résumé :

Ma grand-mère est un mystère. Depuis qu’elle a perdu la mémoire, sa simple évocation suffit à raidir les corps. Que nous caches-tu Marie-Lourdes dans ton épais silence ? Avec un procédé proche de la gravure, ce film d’animation emprunte à l’archéologue le geste qui consiste à creuser, à révéler.

Prix Tënk/Opening Scenes – Visions du réel 2018

L’avis de Tënk :

Le crayonné noir et blanc de « La Rivière Tanier » anime et documente bien plus qu’une histoire familiale ou la maladie d’Alzheimer. Créant ses propres traces, l’animation très aboutie de June Balthazard nous permet d’accéder à l’inconscient d’une société créole encore marquée par son passé esclavagiste. Très loin de l’île Maurice des cartes postales, elle nous confronte à notre propre oubli d’anciens colonisateurs.

Éva Tourrent
Réalisatrice, responsable artistique de Tënk