L’idée peut sembler saugrenue, le résultat est impressionnant de naturel : une cinéaste belge interprète en playback ses entretiens avec des femmes de ménage et leur employeuse. Un film qui montre comment la parole transforme le corps. A voir gratuitement sur Tënk, en partenariat avec France Inter.
Le film s’appelle Karaoké domestique, mais autant vous prévenir : personne ne chante ! C’est un documentaire sur les femmes de ménage, qui s’appuie sur un dispositif très original. Grâce à un partenariat entre France Inter et Tënk, il est disponible gratuitement jusqu’au 25 janvier.
Inès Rabadán, cinéaste belge, s’intéresse à la relation entre les femmes de ménages et leur patronne.
Oui, les patronnes, pas les patrons, parce qu’elle a constaté (attention, c’est un scoop) que même quand il y a un homme à la maison, c’est sa compagne qui se considère comme employeuse de la femme de ménage. Parce que c’est elle, et pas lui, qui se décharge des tâches ménagères.
Inès Rabadán a trouvé des femmes qui acceptaient de témoigner, mais certaines étaient gênées à l’idée apparaître à l’écran. Elles voulaient bien qu’on les entende, pas qu’on les voie. Alors est née cette idée merveilleuse de karaoké documentaire. Dans ce film, on entend les voix de six femmes (trois employées et trois employeuses) mais on en voit une seule : c’est Inès Rabadán elle-même. Elle s’est filmée en train de parler à leur place, en playback.
Ces voix, toutes très différentes, sont donc portées, incarnées par le même visage : visuellement, il y a un effet comique indéniable. Mais on est aussi bluffé par la performance.Imaginez un peu le boulot que ce petit film de 35 minutes a demandé ! Il a fallu d’abord interviewer ces femmes, les filmer. Vint ensuite l’étape du montage. Puis la cinéaste a retranscrit par écrit ce qui se dit, à la syllabe près, avec les bégaiements, les bruits de bouches, les hésitations. Avant d’interpréter les voix en play back face caméra.
Devant elle, il y a le texte qui défile, comme au karaoké (mais on ne voit pas ce texte à l’image, bien sûr). Elle reproduit aussi les mimiques, les expressions du visage. Et le résultat est impressionnant de naturel, d’autant qu’il y n’y a pas d’artifice de costume, elle porte toujours le même pull noir.
Le dispositif est d’autant plus fascinant qu’il est question ici d’un sujet intime (la vie domestique) mais aussi social : on ausculte une profession très peu valorisée. Par la magie du karaoké, ces femmes à des niveaux différents de l’échelle sociale sont réunies dans le même corps. Leur voix devient universelle.
Inès Rabadán, en associant les mots de ces femmes à son visage, les réincarne. On discerne de façon saisissante la gêne, la confiance en soi ou la pudeur de chacune. Et c’est bien tout l’intérêt de ce film : il révèle le pouvoir de la voix. Il montre à quel point la parole transforme le corps. Et désolée pour ceux qui espéraient, puisqu’on parlait de karaoké, qu’il serait question de s’égosiller sur les lacs du Connemara !