A la veille du 1er mai, journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs, il nous semblait incontournable de consacrer un focus à la mémoire ouvrière.
Figure centrale de l’histoire sociale des XIXe et XXe siècle, la condition ouvrière a connu de perpétuels bouleversements. Retour à l’usine en 5 documentaires pour comme lieu de travail, lieu de vie, lieu de luttes. L’occasion aussi de mesurer l’impact de leurs disparitions sur les territoires qui ont traverser la désindustrialisation de plein fouet.
Film soutenu par Tënk
Le résumé : En décembre 1995 débute l’un des plus violents combats pour la justice sociale de l’histoire contemporaine française. Un millier de mineurs descendent dans les rues dans une lutte sans merci contre le gouvernement pour conserver leurs droits.
Vingt ans plus tard, la désindustrialisation couplée à une muséification éclair de leur histoire voudrait avoir amputé le peuple de son sens de la lutte.
“Grève ou crève” est composé de vidéos d’archives exclusives de cette époque, filmées au cœur des grèves, et d’images des habitants actuels de la ville. Le film dépeint le portrait de deux générations qui se battent corps et âme et pour lesquelles le combat n’a jamais cessé, malgré les apparences.
Notre avis : Ce film de Jonathan Rescigno, c’est la mise en lumière de la puissance des colères sociales. Il n’est pas si fréquent que la dimension poétique de la colère et de la révolte contre l’injustice sociale soit aussi présente dans un film documentaire. Ce qui marque dans “Grève ou crève” c’est le mélange réussi des temps et des situations. C’est le travail sonore sur le silence des lieux après la bataille, c’est la fumée des lacrymos qui habillent l’espace et qui permet de glisser d’un temps à un autre et de tisser des liens d’évidence entre les séquences.
C’est un film à hauteur d’hommes et de femmes. Un éloge de la lutte porté haut, au-delà du titre, par les récits des témoins de l’histoire racontant la difficulté de se battre contre l’humiliation. Un très beau portrait de la dignité.
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Le résumé : “Comme des lions” raconte deux ans d’engagement de salariés de PSA-Aulnay, contre la fermeture de leur usine qui, en 2013, emploie encore plus de 3 000 personnes dont près de 400 intérimaires. Des immigrés, des enfants d’immigrés, des militants, bref des ouvriers du 93, qui se sont découverts experts et décideurs.
Notre avis : “Comme des lions” nous plonge en totale immersion avec le mouvement de grève des salariés de PSA-Aulnay. Ils nous embarquent avec eux. On se bat à leurs côtés. La direction se dissimule derrière des séries de communiqués que le film reproduit par des cartons, du texte sur fond noir, sans visage et sans image : des faux prétextes, des promesses sans garantie, des mensonges… Les ouvriers, dont certains sont syndiqués, deviennent des grévistes, qui deviennent des héros. Même s’ils ne “gagnent” pas, ils mènent cette aventure, prennent des risques et affirment haut et fort leur fierté. Leur lutte est touchante et pleine de sens : c’est un combat de justice sociale.
Le résumé : En 1979, dans la région ABC de São Paulo, plus de 150 000 métallurgistes en grève affrontent le gouvernement militaire brésilien afin d’obtenir de meilleures conditions de vie. Les mouvements syndicalistes sont en pleine effervescence, d’où se distingue en particulier un homme appelé 23 ans plus tard à devenir président de la république : Lula.
Notre avis : Alors qu’il préparait son film “Eles Não Usam Black-Tie” en 1979, Leon Hirszman – membre du Parti communiste brésilien et un des fondateurs du Cinema Novo, la Nouvelle Vague du pays – arrêta l’écriture du scénario pour suivre les mouvements syndicaux qui conduisaient une grève importante dans les villes de Santo André, São Bernardo do Campo et São Caetano do Sul. Touché par les événements, il décida de réaliser un film documentaire pour manifester son élan militant et participer à un processus qu’il considérait comme fondamental pour l’opposition au régime militaire. Hirszman voulait transformer le processus filmique en analyse dialectique du présent, et faire ainsi du film fini un outil de combat et un manuel didactique de pensée pour la classe ouvrière. Le film restera cependant inachevé jusqu’à sa mort en 1987 : il a été interdit avant même d’être terminé, et n’a été achevé qu’en 1990 par le chef op et monteur du film, Adriano Cooper, à l’initiative de la cinémathèque brésilienne. C’est un film de lutte et d’urgence, une œuvre tournée en collectif, caméra au poing et en équipe réduite.
Le résumé : Sur un commentaire hors-champ, des images défilent, évocatrices des poussières naturelles : sidérales, salines, de pollens… Elles laissent vite la place à celles de sites industriels générateurs de poussières dangereuses : fours à coke et à chaux, entreprise travaillant le lin, porcelainerie, industrie du charbon de bois, cimenterie…
L’accent est mis sur les risques de silicose (vues au microscope, radios de poumons silicosés) et sur l’importance des mesures de protection individuelles et collectives : port d’un masque, appareils de filtration des poussières, de dépoussiérage… Dans “Les Poussières”, Georges Franju s’attache à observer l’effet provoqué par les poussières sur la santé de l’homme.
Notre avis : 1954. Georges Franju réalise cette commande de l’Institut National de la Sécurité. Il y convoque principalement la poussière de silice, qui n’est pas sans écho, a posteriori, avec une autre poussière, l’amiante, et tant d’autres encore. Pouvait-on envisager qu’en janvier 2021, la poussière de silice cristalline serait classée cancérigène et verrait la mise en place de mesures de protection pour les travailleurs ? “La modernisation combat ce qu’elle a en partie contribué à créer” nous dit-il.
Dans ses coutures, le film témoigne de son époque : le réalisateur y déploie un exposé-poème où se savoure la qualité didactique et sensible du commentaire. Approche scientifique et poétique se mèlent, questionnant la place de l’homme dans son environnement, cœur de la réflexion, comme en témoigne la dernière séquence : l’explosion d’une bombe nucléaire. La poussière radioactive alors projetée de toute part donne la mesure de la capacité de l’homme à se détruire lui-même en même temps que son environnement.”
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Le résumé : Les travailleurs quittent l’usine Lumière. Le premier film de l’Histoire nous dit dans son modeste langage : “Regardez, nous pouvons enregistrer notre image en mouvement”. Ce premier document nous donne une ébauche de ce qui, dès lors, sera rendu possible grâce au cinéma. Racontant cela, “La Sortie des usines” montre des séquences similaires tournées en cent années de cinéma.
Notre avis : Harun Farocki analyse la représentation cinématographique de la classe ouvrière. La caméra reste au seuil de l’usine et la narration commence toujours avant ou après le travail. Luttes, grèves et masses ouvrières sont toujours filmées aux portes des usines (ou aux grilles des prisons). Farocki traite les archives – films de fiction et documentaires – comme des choses concrètes et, avec la finesse de son commentaire et le scalpel de son dé-montage, il parvient à rendre lisible leur idéologie sous-jacente. Voir et revoir les images, comparer et dissocier les motifs, deviennent alors des opérations pour démasquer le système de signes qui a toujours glissé sur la surveillance, la violence et l’aliénation. L’invisible d’un siècle du cinéma est finalement révélé.