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Entre simulation et expérience – 4 Films sur le dispositif théâtral dans le documentaire

10 décembre 2020

 

L’unique vocation du jeu de rôle ou du théâtre est-elle toujours d’aboutir à une performance artistique ? Au delà de sa capacité à divertir, à faire exister des situations et des personnages, le jeu de rôle est également l’occasion parfaite de simuler, répéter voire reproduire le réel. L’exercice devient alors un laboratoire pour tester ou fantasmer d’autres possibles, pour reproduire des événements passés ou pour simplement laisser au corps la liberté de s’exprimer. Dans cette sélection de films sur Tënk, le jeu de rôle sera donc d’abord envisagé comme un dispositif et comme un prétexte pour inviter à parler ou à faire parler.

 

NON È SOGNO DE GIOVANNI CIONI

[2019, 96′]

Résumé : 

Que ressens-tu en toi ? C’est la vérité. Mais tu ne dois pas la nommer, car dès que tu la nommes, elle disparaît et n’est plus. Le jeu de la vie. Le monde extérieur. Dehors, en prison. Vérifié

Mention spéciale – Compétition internationale – Festival dei Popoli 2019

L’avis de Tënk : 

Tourné lors d’un atelier dans la prison de Capanne à Pérouse, le film est basé sur “Che cosa sono le nuvole” (Les nuages, c’est quoi ?) de Pasolini et “La Vie est un songe” de Calderón de la Barca, et travaille sur le jeu théâtral comme révélateur de vérité. La répétition du texte théâtral devient un expédient pour faire émerger la vérité des hommes contraints à la prison, qui est avant tout une métaphore des restrictions du monde confrontées au désir humain. Trop grands pour une cellule, et même pour un plan, les prisonniers du film s’échappent dans le ciel grâce à un fond vert fait maison, mais les mots, toujours, révèlent les effets de la détention. Un thème cher au cinéma de Giovanni Cioni, qui a fait de l’obsession une caractéristique stylistique : à travers des images précaires et des sons sales, l’auteur parvient à capter le dépouillement de la psyché et à construire un pont entre l’expérience de la prison et la perception du “dehors”.

Daniela Persico
Programmatrice et critique

 

C’EST POUR DE FAUX DE MONA MAIRE

[2019, 30′]

Résumé : 

Trois espaces. Un quotidien très organisé, le théâtre pour explorer son imaginaire et une chambre pour se rencontrer. Assis sur son lit, Robin “personne en situation de handicap mental” se raconte. Au fil de cette rencontre, sa façon si singulière d’appréhender la vie nous interroge tant sur notre rapport à l’Autre que sur notre propre perception du monde.

L’avis de Tënk : 

Un film qui s’appelle “C’est pour de faux”, qui débute avec du théâtre, et offre une chambre à l’intimité, prévient qu’il est parfois bon de poser une limite entre le jeu, la vie et nos émotions. Pour se protéger, peut-être. Quand bien même cette limite serait illusoire…
En détournant les temps creux par les regards-caméras souvent frondeurs de Robin, ses poses de défi, l’interaction entre elle et lui, la mise en avant du film en train de se faire – en laissant ainsi la place à ces actes vivants, Mona Maire ouvre des trouées inattendues dans son film.
Bien plus, elle lui donne un beau mouvement. Du regard initial sur Robin qui joue au théâtre, puis devant la caméra, elle fait peu à peu advenir autre chose. Autre chose que du jeu, autre chose que la vie. Cette étreinte qu’on lui voit donner, ces gambades sorties d’un rêve, c’est pas pour de faux. Et c’est ce qui en fait la beauté.

Jimmy Deniziot
Pré-sélectionneur pour les États généraux
du film documentaire – Lussas

 

OVERSEAS DE SUNG-A YOON

[2019, 90′]

Résumé : 

Dans un centre de formation comme les autres aux Philippines, de futures employées de maison se préparent à partir travailler à l’étranger comme aides ménagères ou nounous. Lors d’exercices de jeux de rôles, ces femmes – qui se sacrifient souvent pour leur famille et un avenir qu’elles espèrent meilleur – se mettent tant dans la peau de l’employée que des employeurs.

Avec le soutien du CNC – Images de la culture

L’avis de Tënk : 

Chaque année, 180 000 Philippines partent – selon les chiffres officiels – travailler à l’étranger. Ces “Overseas Filipino Workers” (Travailleurs Philippins Outremer) constituent les maillons essentiels d’une vaste industrie de la migration, développée par le pouvoir philippin depuis le mitan des années 70. S’immergeant dans l’un des nombreux centres répartis dans le pays, la réalisatrice franco-coréenne Sung-A Yoon suit au plus près une formation au départ. En cinéma direct, nous découvrons les cours pratiques comme théoriques, ainsi que les temps informels – les femmes résidant au centre la durée de leur apprentissage. Tout en captant la belle sororité à l’œuvre, le film dessine progressivement toute l’ambivalence d’un enseignement qui, prodigué par d’anciennes OFW, s’avère fondé sur la servilité et bien peu apte à protéger ces femmes des maltraitances qu’elles encourent.

Caroline Châtelet
Journaliste, critique dramatique

 

RECONSTRUCTING UTØYA DE

CARL JAVÉR (VOD)

[2018, 93′]

Résumé : 

Six ans après le massacre d’Utøya (2011) en Norvège, quatre survivants reconstituent leurs souvenirs dans un studio de cinéma. Accompagnés et soutenus par douze jeunes participants, ils peuvent partager et apprendre à vivre avec cette expérience traumatique.

L’avis de Tënk : 

Psychodrame : “forme de thérapie utilisant la théâtralisation dramatique au moyen de scénarios improvisés, et permettant la mise en scène de sa problématique intérieure. Le psychodrame est utilisé en thérapie de groupe, en thérapie familiale ou en thérapie individuelle.” (wikipedia)
“Reconstructing Utøya” nous montre comment des jeunes gens norvégiens font avec le traumatisme d’un attentat. Le psychodrame est ici mis en scène par le film lui-même, qui présuppose qu’il est possible de trouver un équivalent cinématographique à l’artifice thérapeutique. Délicat problème, qui nous fait questionner la nature même des larmes auxquelles on assiste, et de la compassion qui règne dans ce qui apparaît comme une étrange colonie de vacances consacrée au chagrin.

Jérémie Jorrand
Responsable de l’éditorial et de la programmation de Tënk