Georges Friedmann définit dans les années 60 le travail comme un commun dénominateur et une condition de toute vie humaine en société. A travers ce cycle qui comportera plusieurs volets au fil des prochains mois nous interrogerons la place et l’impact du travail aussi bien dans les sociétés que sur les corps.
Dans cette première partie nous explorerons le travail qui use les membres et les esprits, aussi bien en France qu’ailleurs.
Réalisé par Emmanuel Gras – 2017, 96 minutes
Au Congo, un jeune villageois, espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves.
L’avis de Tënk
“Je ne sais pas si j’ai jamais vu un film aussi simple, et aussi intense… Nous rencontrons un héros, modeste et humble, sur un parcours où nous ne pouvons nous empêcher de le suivre, et de trembler pour lui. L’extraordinaire se produit dans notre tête de blanc avachi sur le canapé du salon. La “”misère de notre confinement”” devient presque un réconfort. Se plaindre de quoi ? Ce film moral et juste nous emporte. Il faut imaginer Sisyphe heureux ?
Dès les premiers plans, la sobriété d’un montage précis et sans effet, le son direct pur, et surtout le travail d’une caméra virtuose sans manière, nous convainc. Personne n’a jamais filmé aussi bien un arbre, l’arbre avec le regard du bûcheron. Le réalisateur filme toujours à la bonne place, à la bonne distance, nous donnant un exemple assez rare de “”cinéma du réel”” véritable. Vraiment si vous voulez voir un film fort, avec une économie de moyens ascétique, c’est celui-là. Presque une prière. Vous allez oublier la pandémie.”
Pierre Oscar Lévy, Réalisateur
Réalisé par Valentina Pedicini – 2013, 70 minutes
Nuraxi Figus est la dernière mine de charbon d’Italie encore en activité, en Sardaigne. À 500 mètres sous terre, au cœur des ténèbres, le travail est toujours aussi rude… Et au milieu de cet univers traditionnellement masculin, Patrizia est la seule femme mineur de son pays. Mais la colère gronde à Nuraxi Figus : la mine va-t-elle fermer ? Pendant que le monde d’en haut tergiverse, Patrizia et ses collègues vont lutter pour défendre leurs droits.
Dans l’obscurité de la dernière mine active en Italie, le regard de Valentina Pedicini apporte de la lumière dans un monde constitué d’espaces étonnamment grands, et pourtant étouffants, et comme exigus. Ce monde est habité par 150 mineurs qui, “des profondeurs” de leur vie quotidienne – faite de silences, de petites pauses et de peu de mots – sont habitués à travailler en l’absence de lumière et d’air pur avec une dévotion et une dignité religieuses. La caméra les suit sans discontinuer, fidèlement, alors qu’ils manifestent à 500 mètres de profondeur, confrontés à la énième tentative de fermeture de la mine par le gouvernement italien, avec la résignation de ceux qui ont déjà vécu ce moment de nombreuses fois. C’est un voyage quasi surréaliste et esthétiquement magique dans les entrailles de la terre, qui nous donne une image étonnante d’un monde à l’accès difficile, souterrain et perdu.
Claudia Maci, Directrice de l’organisation du Festival dei Popoli
Réalisé par Pierre Carles, Christophe Coello, Stéphane Goxe – 2003, 105 minutes
Peut-on considérer la question du travail sous l’angle du refus sans provoquer la réprobation générale ? Est-il possible d’aborder le thème du chômage sans le présenter sous le signe exclusif de la tragédie, mais en y décelant au contraire un des moyens d’échapper aux griffes de l’exploitation ? “Attention ! Danger Travail” en propose l’expérience en présentant des chômeurs qui ne paraissent ni accablés ni désespérés. Une façon d’envisager autrement la recherche du bonheur, qui suscite l’incompréhension du patronat mais interroge surtout l’un des principaux fondements de nos vies.
L’avis de Tënk
Ce film, vieux de presque quinze ans, retrouve par le hasard du calendrier électoral une actualité qu’il n’aurait en fait jamais dû quitter. Renouant avec l’histoire de la critique du travail, entre “Le Droit à la paresse” et “Le Manifeste des chômeurs heureux”, il soulève tout l’intérêt d’un revenu déconnecté du travail, sans condition et garanti à tous, pour sortir nos sociétés du productivisme, de l’impasse écologique et de la précarité généralisée, comme avait pu l’observer André Gorz dès la fin des années 1980.
Brieuc Mével, Coordinateur réseau d’éducation populaire à l’environnement et au développement durable
Hassen Ferhani – 2015, 100 minutes – Accessible uniquement en VOD pour les abonné.es de Tënk
Dans le plus grand abattoir d’Alger, des hommes vivent et travaillent à huis-clos aux rythmes lancinants de leurs tâches et de leurs rêves. L’espoir, l’amertume, l’amour, le football, le paradis et l’enfer se racontent comme des mélodies de Chaabi et de Raï qui cadencent leur vie et leur monde.
L’avis de Tënk
Un credo : penser que capter des atmosphères, des lumières, des musiques et des paroles permettra de saisir un souffle, l’esprit du lieu, et que cet esprit nous parlera de ce qu’est être ouvrier dans l’Algérie d’aujourd’hui. Tourner un tel film consiste donc à se mettre à l’écoute, avec pour espoir le surgissement du réel, comme dans l’extraordinaire scène du taureau où la vie s’infiltre sans prévenir.
Un abattoir est un lieu de mort, et donc interrogation de vie. Le travail documentaire est de laisser cette vie s’immiscer dans le plan, avec une caméra à juste distance, en focale fixe. Si le rouge est présent, ce n’est pas le sang mais la couleur de la vie.
Les travailleurs, qui vivent sur place, parlent avec légèreté de football, de musique et d’amour, de ces femmes absentes à l’écran mais omniprésentes dans les esprits. Une intimité se dévoile, un imaginaire se révèle. Comme le dit Amou, “je ne mens pas mais je ne tombe pas dans la vérité”. Il n’y a ni solution ni affirmation, seulement des questions, un vertige au milieu des mille chemins du rond-point.
Ce microcosme de solidarité ouvrière regroupe les composantes de l’Algérie de l’intérieur, avec les animosités et la diversité des cultures. C’est alors que les ciels nocturnes, les dominantes chromatiques, les jeux de lumières prennent tout leur sens et participent de la perception humaine de ce qui reste le drame d’un pays en huis-clos.
Olivier Barlet, Critique de cinéma et rédacteur pour Africultures