Bernd et Norbert tentent en vain de se souvenir avec leur mère de la première fois qu’ils ont eu affaire à la police… Cela remonte trop loin semble-t-il, alors qu’ils ne sont pourtant pas bien vieux. Quand ils parlent de leur père, qui a quitté le foyer il y a de nombreuses années déjà, c’est pour rappeler que celui-ci est « asocial ». Et d’ailleurs, n’a-t-il pas été arrêté pour « comportement asocial » ? Le court-métrage est-allemand A quoi bon faire un film sur ces gens-là ? est l’un des nombreux bijoux que l’on trouve sur Tënk, une plate-forme de vidéo à la demande (VOD) dédiée au documentaire. Tourné en 1980, il a été aussitôt interdit de projection, et ceci durant près de dix ans, jusqu’à sa première mondiale en septembre 1989. Le réalisateur, Thomas Heise, y relate la vie quotidienne de ces deux frères, démontrant magistralement que la délinquance est une forme de socialisation comme une autre, tant la marginalité paraît intériorisée par chaque membre de leur famille. En ligne jusqu’au 28 décembre, le film a été programmé dans le cadre du partenariat entre Tënk et le festival DOK Leipzig.
Quelques repères pour s’y retrouver dans l’offre abondante de ce site : vous pouvez consulter les rubriques « écologie » ou « histoire et politique » bien sûr, mais sachez qu’il y a aussi de l’anthropologie dans « sciences ». Disponible en ce moment, Anaïs s’en va-t-en guerre, de Marion Gervais, décrit le parcours d’une agricultrice bretonne de 24 ans, spécialisée en plantes médicinales. On la voit bêcher la terre, piquer des plants de fenouil et de menthe, vendre sa production à des distributeurs exigeants et des chefs cuisiniers de renom. Elle affronte ainsi les aléas météorologiques, les difficultés administratives, la misogynie. Dans Exarcheia : le chant des oiseaux, programmé dans la cadre des Rencontres du documentaire de Montréal, Nadine Gomez nous fait de son côté voyager dans le quartier alternatif d’Athènes, berceau du soulèvement contre la dictature en 1973, marqué aujourd’hui par la crise économique et l’arrivée des migrants. Quant au parcours cinématographique « Fantômes et coming out », des réalisateurs et réalisatrices y « explorent les fantômes de leurs histoires intimes et familiales liées à l’homosexualité ou aux trans-identités », écrit Grégory Tilhac, programmateur du festival LGBT de Paris Chéries-Chéris.
Le projet de Tënk est en effet de faire découvrir à un large public les œuvres projetées dans le cadre de différents festivals. Il est né en 2015 à l’occasion des Etats généraux du documentaire de Lussas, en Ardèche, qui ont fêté leurs 30 ans l’été dernier. Rapidement, l’initiative a pris la forme d’une Scic, une société coopérative d’intérêt collectif qui associe non seulement ses dix salariés selon le principe « une personne, une voix », mais également des producteurs, des réalisateurs et des investisseurs parmi lesquels on compte la mairie de Lussas. La Scic a été lancée après une campagne de crowdfunding qui a collecté 35 000 euros auprès d’un millier de personnes, « des professionnels ou des amoureux du documentaire », explique Pierre Mathéus, directeur général de la coopérative. Puis, elle a obtenu des aides comme celles de France active et du Centre national du cinéma.
La plate-forme compte désormais 15 000 abonnés, à raison de six euros par mois, dont beaucoup d’écoles (écoles d’art notamment), d’universités et de médiathèques. Autofinancée ainsi à hauteur de 70 %, elle coproduit maintenant des documentaires, dont le premier, Common birds, traite de la question des communs et sera disponible en 2020.
Rappelons enfin que Tënk signifie « exprime-moi ta pensée » en wolof. Un nom trouvé lors d’une rencontre en Afrique de l’Ouest : « Nous y formions des réalisateurs et des producteurs et le terme nous a paru plus proche de l’esprit du projet que celui de pitch », se souvient Pierre Mathéus.