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5 films pour interroger notre perception des “quartiers”

18 février 2021

La banlieue est un sujet documentaire complexe. D’une part parce que peu de réalisateurs et réalisatrices en sont issu.e.s, d’autre part parce qu’il faut à la fois échapper aux clichés de violences et de communautarisme tout en ne tombant pas à une forme d’angélisme qui viserait à occulter la misère et l’abandon des pouvoirs publics qui ont progressivement transformé les banlieues ouvrières en cités dortoirs.
Nous avons choisi pour vous une sélection de 5 films qui balaient aussi bien la condition des travailleurs immigrés dans les années 70 que l’évolution des aspirations de la jeunesse.

 

Mes voisins

de Med Hondo  (1973, 35 minutes) – Bande-Annonce

Med Hondo était un cinéaste et un homme paradoxal : lié par sa foi politique et son histoire de militant au Parti Communiste Français (le plus doctrinaire et orthodoxe d’Occident), mais en même temps artiste très expérimental dans sa recherche cinématographique, on pourrait dire un Maïakovski franco-mauritanien. Ses films sont des objets sauvages, inclassables, libres : mélanger du cinéma direct, du ciné-tract, du vidéoclip musical, de l’animation agitprop, voilà de quoi est fait “Mes voisins”. Un fragment de l’extraordinaire long-métrage “Les Bicots-nègres, vos voisins”, fresque sur les causes de l’immigration et sur la situation des immigrés, sous la forme explosive d’un mélange de documents captés sur le vif et de saynètes, de chansons, de dessins animés. Un ciné-cri.

 

À force on s’habitue

de Jean-Pierre Gallèpe (1979, 90 minutes) – Bande-Annonce

Réalisé après une commande de la ville d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis au début des années 1970, ce film utilise le matériau tourné alors et des images prises un peu plus tard pour dessiner le portrait de la jeunesse en banlieue. Les rebonds d’une séquence à l’autre, les fils que le réalisateur tisse entre les paroles prononcées, reflètent son impressionnante connaissance des images et des histoires que les jeunes de la commune lui ont racontées. La force du “vécu ensemble” pendant les tournages est très vive. C’est aussi de ce vécu que provient la richesse de ce film et son acuité incroyable sur le sujet. L’autre intérêt majeur de cette œuvre réside en son actualité surprenante, car elle laisse apparaître une permanence des problèmes qui se posent aux jeunes et de leurs questionnements.

 

Swagger

d’Olivier Babinet (2016, 84 minutes) – Bande-Annonce

Au son d’une musique aérienne, un drone survole les immeubles d’une banlieue et nous fait pénétrer dans la chambre de Régis. Nœud pap’ et élégance en étendard, il se rêve styliste. Naïla s’imagine elle architecte parce que “ceux qui vivent dans les grandes villes, (…) font des grands bâtiments mais les gens ne veulent pas vivre dedans”… Par une mise en scène complice et assumant sa filiation à la fiction, Olivier Babinet met la puissance du cinéma au service du point de vue de ces ados qu’il a fréquenté pendant près de 4 ans lors d’ateliers dans leur collège d’Aulnay-sous-Bois, territoire où près de la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté. Leur parole filmée frontalement se mélange à leurs fantasmes remis en scène. À la fois lucides sur les difficultés et violences du monde qui les entoure et habités par leurs désirs et leurs rêves, tous ces adolescents ont résolument du “swagger”, cette dignité et cette force qui leur fait tenir tête à la vie.

 

De cendres et de braises

De Manon Ott (2018, 73 minutes) Accessible en VOD – Bande-Annonce

De cendres et de braises : c’est le titre de ce magnifique film en noir et blanc. Vers la fin du film le braqueur, alias le résistant économique, dit autour de son feu : “Tu casses les braises et ça fait des flammes” et c’est ce qu’on voit dans le film… Les cendres, les braises : le moment après le feu, ce qui couve et ce qui a été brûlé. Le film nous montre la nouvelle génération, le monde d’après l’âge d’or de l’usine Renault de Flins. C’est une poésie ou un essai lyrique qui chante à la fois l’histoire faite par l’Histoire et le talent de chaque personnage. Chaque personne filmée est un créateur et ce qu’il crée est le fruit de l’oppression et de sa révolte personnelle, de ses rêves. Rarement une ville, ses ciels et ses habitants furent filmés avec autant de talent et d’amour.

 

Bachar à la ZAD

De Pierre Boulanger  (2020, 21 minutes) – Bande-Annonce

“Derrière le titre, volontairement provocateur, se cachent deux visions du monde qui parfois s’entrecroisent, parfois s’opposent, mais qui sont unies par une même réalité, celle de la galère au quotidien.
Le parcours d’Adil et Bilel au sein de la fête d’abandon du projet d’aéroport fonctionne comme un support au questionnement politique du film. Sa force réside dans son approche en deux segments : le premier qui nous laisse suivre la découverte de la ZAD par Adil et Bilel, le second qui les filme dans leur quartier pendant l’annonce de l’expulsion des zadistes. En découpant ainsi son récit, Pierre Boulanger évite de tomber dans l’écueil du paternalisme et montre qu’au-delà des différences existe une convergence qui n’est ni acquise, ni promise mais qui doit se construire dans un respect mutuel.”