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•• Cette semaine sur Tënk – Relier les mondes

7 avril 2023

De la rencontre avant toute chose. De la rencontre avant tout film. Et puis après, aussi. Car en documentaire, c’est aussi tout ce qui se déroule autour du film qui importe. Que ce soient les amitiés qui se nouent pendant un tournage ou celles qui adviennent lors d’une projection quelques mois ou années plus tard.

Nos partenaires de DOC-Cévennes, structure cévenole organisant notamment le festival du même nom tous les printemps depuis plus de 20 ans, nous proposent une Escale qui fait la part belle à la rencontre. Le texte qui accompagne cette programmation choisit ce point de vue remarquable de raconter l’expérience documentaire non pas sous l’angle de ce qui se déroule à l’intérieur des films, mais plutôt dans leurs alentours directs : la projection, le festival, la réunion du public avec les cinéastes. Citons-les : “Le documentaire d’auteur est d’abord un rapport personnel, voire intime, au monde. Pourtant, cette expérience singulière est avant tout écrite et réalisée pour être partagée avec un public. Sa force réside donc dans le fait de construire une proximité, de tisser des liens forts avec ce dernier, le temps d’un film. DOC-Cévennes propose au public de Tënk une Escale autour de six rencontres avec des personnages aux vies a priori très éloignées des nôtres mais qui sont, pourtant, autant d’histoires qui nous parlent, nous révoltent, nous rassemblent.”

Alors il y aura, dans le désordre : un cow-boy, des objets trouvés, de la poésie, une constitution du Zimbabwe, des tunnels sous la terre et l’ombre de Poutine.


On pourrait, au hasard, commencer par la question démocratique. Celle de l’importance d’une constitution correctement écrite, qui garantit le bon fonctionnement des institutions – vous savez, que les lois soient votées par le parlement, par exemple. Democrats, de Camilla Nielsson, raconte en détail et de l’intérieur le processus de réécriture de la constitution zimbabwéenne en 2013. Dans un pays encore sous le pouvoir de Robert Mugabe – 30 ans de règne – des personnalités politiques s’allient pour un changement pacifique, qui met en avant la parole et l’opinion des citoyens. “Ce documentaire est un témoignage important sur la démocratie en Afrique, montrant que même dans les moments les plus difficiles, la voix du peuple peut être entendue et que le processus démocratique peut triompher.” écrit avec optimisme Marion Blanchaud, qui poursuit : “Democrats est tout à la fois une mise en lumière inédite d’un processus politique en Afrique, et un film qui nous ramène à notre propre condition, dans une démocratie qui s’essouffle.”

Du Zimbabwe à la Russie, franchissons le pas. Pas le genre super démocrate, Vladimir Vladimirovitch Poutine. Boris Nemtsov, lui, opposant politique, a été assassiné en 2015 en pleine rue à Moscou. S’il y a eu enquête, si des tireurs ont été identifiés, les circonstances du meurtre – et notamment ses commanditaires – n’ont jamais été officiellement élucidées. My Friend Boris Nemtsov nous entraîne dans le quotidien de cet homme dans les quelques années qui précèdent sa mort. Des manifestations anti-Poutine aux côtés d’Alexeï Navalny aux élections régionales de 2013, d’un compartiment-couchette à un glacial bain de minuit, c’est en toute intimité que Zosya Rodkevich nous invite à partager un temps cette vie-là. Et à découvrir un homme courageux, imparfait, pénible, et engagé pleinement.

S’il y en a bien un qui, a priori, est un peu pénible, c’est Jaime. “Dragueur, macho, fanfaron” dit le résumé de El Charro de Toluquilla. Mais les anti-héros ont des failles. Et, comme dit l’autre, c’est par elles qu’entre la lumière. Le réalisateur José Villalobos sait précisément filmer ce qui filtre de beauté et de contradictions, de craintes et de fragilité chez Jaime. Voilà “une œuvre rare (…) qui insuffle de l’absurde dans la réalité et de la tragédie dans les rires” selon Kevin Bordus, de DOC-Cévennes : “un film intimiste, de ceux qu’on garde en tête” et qui cherche au délà des apparences. Rencontrer quelqu’un, c’est sûrement cela : comprendre que personne n’est solide.


Les mitaines c’est mignon. Même le mot mitaine est mignon. On est un peu triste quand on perd une mitaine. Prière pour une mitaine perdue est un film sur l’attachement et la perte. C’est aussi une sorte de doux portrait de Montréal en hiver, et des personnes qui la peuplent, qui sont à la recherche d’un objet perdu au bureau des objets trouvés. Qu’est-ce qu’on a perdu, qu’on aimerait à tout prix retrouver ? Qu’est-ce qui compte pour nous, vraiment, profondément ? Une mitaine ? Un amour ? Les deux ?

Continuons avec une plongée dans la terre. Une expérience sensorielle. Yaar est aussi beau que terrifiant. C’est au Burkina Faso. De nombreuses personnes creusent des puits pour aller chercher des cailloux tout au fond, en martelant la roche, en prenant des risques insensés. Puis on tamise, on chauffe, on brûle. De quoi s’agit-il ? Le court métrage – sans dialogues – ne le dit pas. Possiblement quelque chose qui a à voir avec mon smartphone, logé là dans une petite puce ?

Finissons en poésie, avec Spoon – pour Spoon Jackson, prisonnier et poète étatsunien. S’il n’écrivait pas, il serait “une ombre boxant avec la mort”, dit-il. Le film de Michka Saäl, qui fut une habituée de DOC-Cévennes, est autant une dénonciation du système carcéral des États-Unis qu’une “méditation sur la puissance de la poésie et de l’art pour contrer le désespoir”. Ou comment la poésie permet de reconquérir en beauté des espaces de liberté !

Et comment la rencontre avec les films, les personnages, les cinéastes, permet d’ouvrir notre regard !

Bons films !