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•• Cette semaine sur Tënk : Les Aventures d’obélisque

3 mars 2023

Il aura fallu presque 5 ans entre le moment où l’obélisque de Louxor fut chargé sur un navire opportunément baptisé « Le Luxor » (tracté par « Le Sphinx » !) et celui où il fut érigé sur la place de la Concorde à Paris. Formidable défi technique, prouesse de la marine, bel exemple de collaboration entre les gouvernements, etc. Car, oui, l’imposant et lourd objet fut bel et bien offert par l’Égypte à la France. Mieux encore : ce sont au départ deux obélisques qui auraient dû être du voyage !

Ôter le sublime à un endroit pour en orner son petit chez soi, c’est humain, semble-t-il. Par exemple : un obélisque. Par exemple : un bouquet de fleurs. Par exemple : un arbre centenaire.

Dans Taming the Garden (littéralement : « dompter le jardin »), un homme, anonyme, s’adonne à ce passe-temps : transférer les plus beaux et anciens arbres de la côte géorgienne depuis leur terre d’origine jusqu’à son jardin personnel. Pour son plaisir. Qu’importe s’il bouleverse le paysage : l’argent le lui permet. Étrange film, Taming the Garden : un « thriller décéléré » selon notre programmatrice Carolin Ziemann. Qui révèle avec lenteur et une beauté certaine l’extravagance de l’entreprise… et la folie bien humaine d’un égoïsme tel qu’il conduit au déracinement des arbres comme des personnes…


Comment imaginer plus grand déracinement que l’exil forcé que vit la famille de Hassan Fazili dans Midnight Traveler ?

De l’Afghanistan à l’Europe, le film raconte trois ans de voyage. Une fresque filmée au smartphone, qui donne un regard absolument inédit sur ce parcours de migrants. Mais aussi une grande histoire remplie d’amour entre les quatre personnages – femme et homme cinéastes et leurs deux enfants toujours présents dans les différentes épreuves. Quatre personnages qui relatent ensemble cette aventure faite évidemment de danger et d’abattement, mais aussi d’une grande, très grande part de beauté.


« Si un monde vous révolte, est-il bien conséquent de consentir à s’en faire l’employé ? » L’écrivaine Annie Le Brun n’a pas transigé : « Je suis toujours restée aussi loin que possible du système. Je n’ai jamais eu de métier réel, j’ai fait des petits travaux. (…) De toute façon, je ne sais pas comment j’aurais pu vivre autrement, même si c’est au prix d’une certaine précarité. Car le fait est qu’on ne vous paye jamais pour être libre. » Dans S’il en reste une, c’est la foudre, programmé par Benoît Hické, elle « nous raconte comment conquérir sa liberté, comment façonner son propre espace ou de quelle façon nos sociétés ultra-libérales organisent le gavage et nos manières d’exister ». Un film qui ouvre une porte vers un regard libre et tranchant, profond et politique – et vers de nombreux textes à lire.

Autre portrait, celui du compositeur Giacinto Scelsi, dans Le Premier Mouvement de l’immobile. Et cette fois-ci, en l’absence du sujet : Scelsi, avant de mourir, enregistra en effet ses mémoires sur des bandes magnétiques, que le film nous donne à entendre. Mais est-ce vraiment une absence, lorsque la voix est présente ? Et la musique interprétée ? N’est-il pas bien présent, là dans le film, ce compositeur fascinant pour qui « le son possède une force capable de mouvoir les choses » ?

Atlante 1783 est un film qui lui aussi fait revenir le passé. Celui de cette année 1783 où le paysage de Calabre fut bouleversé par un tremblement de terre terrible. Et c’est dans le paysage que se lisent les événements : les plis de la roche, les cicatrices sur les crêtes. Comment les douleurs passées peuvent-elles façonner le présent ? Et lui apporter sa beauté ?

Pour finir, revenons en Égypte. Ce sont d’autres vestiges qui nous occupent ici, dans The Promised. Ceux d’un quartier historique du Caire, une zone de fouilles archéologiques dans laquelle les habitants voisins jouent un jeu de chat et de souris avec les gardes du gouvernement chargés de prévenir les pillages. Peuvent-ils habiter, en riverains, cet endroit qui leur échappe, promis, un jour sûrement, aux promoteurs immobiliers ? Et au bout du compte : qui, des gendarmes ou des voleurs, s’accaparera l’obélisque ?

Bons films !