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•• Cette semaine sur Tënk – Even Cowgirls Get the Blues

1 juillet 2022

“Je me demande souvent dans quelles mains ces pages finiront par tomber. Je veux croire que tu seras cette personne un jour après que je serai partie. Je l’espère car c’est toi que j’aime, Janey. Il ne me reste plus personne sur la terre à part toi. Je m’endors chaque nuit avec ta photo serrée contre mes lèvres. Oh si seulement je pouvais t’avoir la nuit tombée pour une heure aux côtés des feux de camp afin de briser cette solitude. Si seulement je pouvais te prendre dans mes bras. Je médite dans une couverture auprès de mon feu de camp, guettant loups et coyotes, mes chevaux veillent tout proches et je m’endors en priant Dieu de me laisser vivre assez longtemps pour te revoir encore une fois.”

Ces mots auraient été écrits par Martha Jane Cannary, alias Calamity Jane, à destination de Janey, sa fille, qu’elle avait confiée à un couple peu après sa naissance. La lecture de ces lettres est émouvante, qui nous plonge dans un monde avec des Sioux et des Winchester, mais aussi et surtout dans les sentiments d’une mère éloignée de sa fille. Delphine Seyrig projeta au début des années 1980 de réaliser un film autour de cette correspondance à sens unique – et même : jamais envoyée. Pour préparer ce film elle partit enquêter dans le Montana, en 1983, accompagnée de Babette Mangolte à la caméra. Le projet de Delphine Seyrig resta inachevé. Et c’est plus de 15 ans après que Babette Mangolte parvint à trouver la forme pour relater cette singulière expérience de repérages, pour monter ces rushes jamais utilisés et leur donner un cadre. Calamity Jane & Delphine Seyrig, a Story, c’est “une femme inspirée par une femme inspirée par une femme”, nous dit Olivia Cooper Hadjian. Une réflexion personnelle sur le féminisme et la maternité, un film qui nous montre que “certaines vies sont menées avec tant de liberté et de générosité qu’elles deviennent pour d’autres des légendes, porteuses d’une immense force d’inspiration.”

C’est à l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles, qui proposent cette année une exposition consacrée à Babette Mangolte, cinéaste, cheffe opératrice et photographe, que nous vous présentons trois de ses films au sein d’un Fragment d’une œuvre. L’occasion de découvrir sa pratique de la photographie à travers The Camera : Je or La Camera : I, autoportrait en caméra subjective qui pousse le spectateur à se fondre dans le regard de la photographe. Et d’avoir un aperçu de son important travail autour de la danse, dans Calico Mingling, qui capte une pièce chorégraphique de Lucinda Childs, en une “dentelle graphique hypnotisante”.

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Photo encore, avec Mapplethorpe: Look at the Pictures, qui retrace la carrière du photographe américain – Robert de son prénom – et sa montée en puissance dans le monde de l’art. On y fouille délicatement des archives, découvrant des trésors de sa jeunesse fauchée. On y voit la grande ambition du jeune homme, ses multiples explorations – tout un New York, solitaire ou mondain, que Robert traversa en une vingtaine d’année avant d’être emporté par le sida. Le film nous donne aussi l’occasion de s’extraire du déjà-connu, d’élargir notre regard et de découvrir enfin l’immense variété de sa production d’images, dont certaines firent scandale et choquèrent la bonne vertu et dont d’autres plaisaient à son père.

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Pour finir, nous suggérons trois manières de filmer des rues ou des routes. Au cas où.

D’abord, un walk-movie : marcher avec une caméra dans une rue choisie, à Alger. Rencontrer ceux et celles qui s’y trouvent, éventuellement les mettre en scène, on ne sait pas trop, et cheminer le temps d’une prise avec eux. Dresser ainsi une topographie des rencontres, d’un lieu : “Bir d’eau”, a Walkmovie – Portrait d’une rue d’Alger.

Sinon, se poser avec une caméra dans des rues de Tunis. Placer une feuille blanche pile devant l’objectif. Et voir ce qui se passe. Surtout : écouter ce qui advient, accueillir les curieux, recueillir la parole de ceux et celles qui s’interrogent sur cet étrange dispositif – et aussi : filmer la lumière sur la feuille. D’un procédé extrêmement simple, récolter toute une complexité : Foyer, de Ismaïl Bahri.

Ou alors, en ce jour de départ du Tour de France, se poster sur le bas-côté. Ici, à 4km du col d’Izoard dans les Alpes. Côtoyer les camping-caristes et observer leur attente du peloton, plusieurs jours durant, rythmée par les promenades, les apéros et le réglage de l’antenne-satellite. C’est La Grand-Messe !

Bons films !