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Une programmation spéciale Cinéma du Réel à voir sur Tënk

11 mars 2021

Cette année, Cinéma du réel propose du 12 au 21 mars une nouvelle expérience de festival dématérialisé sur CANALRÉEL avec, tous les jours, en direct et en simultané, des films, des débats et des rencontres.

Au programme, une compétition de films français et internationaux, l’intégrale du cinéaste Pierre Creton, la programmation « Cinéaste en son jardin », qui vient, en regard de cette rétrospective, mettre en lumière des cinéastes qui ont choisi la nature comme lieu de vie et de cinéma. La section Front(s) populaire(s) revient cette année sous la thématique « À quoi servent les citoyens ? ». Le festival parlé, temps de parole donné aux praticiens, explorera les rapports entre littérature et cinéma documentaire. Et aussi, des séances spéciales avec des avant-premières, des raretés et des inédits et Paris DOC, la plateforme professionnelle. Toutes les infos sont ici !

En écho à la nouvelle édition de cet événement majeur du documentaire en France, nous vous proposons de découvrir ici des films des éditions passées, dont le Prix Tënk – Cinema du réel 2020 (This Means More), trois films de Pierre Creton (à partir du 19 mars) ainsi que des films récents, sélectionnés en 2021 (à partir du 26 mars) !

 

FILMS DES ÉDITIONS PASSÉES

 

Shelter – Farewell To Eden

d’Enrico Masi  (2019, 81 minutes)

Résumé : Pepsi est une personne transgenre à la recherche d’un emploi stable en tant que soignante. Ancienne membre du MILF, le Front de libération islamique Moro, actif dans une île du sud des Philippines, elle s’est échappée de son pays pour travailler comme infirmière pendant plus de dix ans dans la Libye de Kadhafi. La discrimination sexuelle qu’elle y a subie l’a forcée à rejoindre le flux de réfugiés.
Son récit en voix off est une parabole postcoloniale dans laquelle la géographie européenne se mêle à un drame émotionnel intime.

Notre Avis : Sous le pont autoroutier de Vintimille, dans les rues de Paris, ou à Modène où elle a obtenu l’asile, rien n’arrêtera Pepsi dans sa poursuite du bonheur. Enrico Masi la filme sur un bout de son chemin, qu’elle trace avec détermination et résilience dans les paysages bien connus de ces zones d’attente et de passage. Car pour celle qui se qualifie de gay, musulmane, rebelle, infirmière et réfugiée, les épisodes les plus sombres semblent derrière elle, ceux de la fuite des Philippines puis de la Lybie. Jamais nous ne verrons le visage de Pepsi, mais le tour de force d’Enrico Masi réside en ce qu’il la fait pleinement exister, elle et son monde, dans ce qu’elle nomme son « expédition ». Shelter peut se concevoir comme un « abri », celui de sa narratrice décidant de livrer ce triste mythe des temps modernes afin de clamer que sa vie est un « ingrédient indispensable au monde ». Avec comme destination finale, la Lune.

This Means More

de Nicolas Gourault (2019, 22 minutes)

Résumé : Des supporters du Liverpool FC font le récit de leur expérience marquée par un événement tragique : la catastrophe de Hillsborough en 1989, où 96 personnes ont perdu la vie et qui changea la nature du football.

Notre Avis : Des images de 1964 nous montrent une foule dans une tribune, debout, tumultueuse mais libre de ses mouvements. Celles de 2020 sont faites de pixels bien rangés, de visages automates, de sièges alignés. Entre les deux, en 1989 : un drame. Le film de Nicolas Gourault prend appui sur cet événement pour nous faire entendre le récit de supporters l’ayant vécu et leur farouche attachement au Stade (avec un grand S), au football et à son origine populaire. « Perdre de vue cette origine, ce serait perdre l’âme du football » disent-ils. Mais est-ce bien compatible avec la rentabilité, les investisseurs étrangers, ou bien, même, avec la sécurité à tout prix ? Dans sa forme même, le film questionne ce risque zéro : le monde parfait et sans risque des images 3D nous oppresse, les humains n’y sont que des silhouettes perdues dans l’espace, et n’ont pas de regard.

 

A rosa azul de novalis

de Gustavo Vinagre, Rodrigo Carneiro (2019, 70 minutes)

ATTENTION, CE FILM CONTIENT DES SCÈNES DE SEXES EXPLICITES

Résumé : Marcelo, un dandy d’environ 40 ans, a une mémoire sans précédent. Il se souvient exactement de son enfance et même de ses vies passées. Dans l’une d’entre elles, il était Novalis, un poète allemand à la recherche d’une rose bleue. Et dans la vie actuelle, que poursuit Marcelo ?

Notre Avis : Un anus, tel une bouche, déclame un poème. Le film s’ouvre sur cette image obscène, choquante, excentrique et drôle. Elle donne le ton de ce huis clos psychanalytique où Marcelo, affublé d’un peignoir en soie ou complément nu, nous raconte sa vie. Il nous laisse entrer dans sa tête et nous parle de la masculinité toxique de son père et de son frère à laquelle il s’est toujours refusé, de ses jeux avec ses amants, de sa fuite de la solitude et de sa fascination pour les artistes morts qui le rassurent. Il nous parle sans cesse, mais nous montre aussi beaucoup. Il dévoile son corps sous tous les angles, lors de rituels quotidiens et dans des tableaux oniriques où il met en scène ses fantasmes sexuels. On se demande alors si c’est en montrant ce qui ne doit pas être montré qu’il s’autorise à dire ce qui ne pouvait être dit. Cette idée atteint son apogée à la fin du film, qui nous laisse avec cette question en tête : qu’est ce que l’obscénité ?

 

Qui est là ?

De Souad Kettani  (2020, 54 minutes)

Résumé : Dans une banlieue quelconque à l’écart de la capitale se dessine un autre monde en marge : le monde des djinns, ces êtres qui appartiennent à la nuit, et dont la présence renvoie à d’autres origines. Le film alterne entre les témoignages face caméra de personnes d’origines (Maroc, Sénégal, etc.) et d’âges divers et les plans donnant à voir les espaces de vie des interrogés. Les paroles se tissent aux lieux, comme pour mieux souligner l’écart entre ces croyances et le quotidien banal dans lequel elles s’inscrivent. Avec subtilité, la trivialité du présent et la puissance surnaturelle de l’invisible s’entremêlent, tandis qu’une inquiétude sourde s’installe. Ce faisant, la distance géographique et culturelle s’atténue.

Notre Avis : Rencontrant des habitants d’une banlieue en région parisienne, Souad Kettani les interroge sur leurs rapports aux djinns, ces êtres non-humains précédant la religion islamique et ayant été assimilés par celle-ci. À travers la succession de récits touchant directement les interrogés ou leurs proches, les esprits malfaisants se révèlent étrangement omniprésents. Qu’ils donnent lieu à des épisodes d’emprise, de possession, ou qu’ils rôdent seulement, les djinns apparaissent comme l’incarnation des difficultés sociales ou psychiques éprouvées. Le surnaturel qui y est attaché tranche avec l’inscription de ces témoignages dans le quotidien et l’environnement d’une banlieue lambda. Il se raconte là les spécificités de la double culture, soit la capacité de transposition et de survivance d’usages dans d’autres territoires, comme le rôle puissant de ces figures : celui de rendre vivable ou à tout le moins acceptable les sentiments nés de situations de relégation.

 

Il Segreto

de Cyop&Kaf (2013, 89 minutes)

Résumé : « Dans de nombreux quartiers de Naples, la récolte d’arbres pour le feu de la Saint-Antoine est une tradition, un rituel, un jeu d’aventure que les enfants de la rue se transmettent de génération en génération.
Les jeunes commencent à ramasser du bois après le Nouvel An, et s’aventurent parfois loin de la maison. Chaque groupe cache son bois dans une cachette différente, «  »le secret » », afin qu’ils puissent le protéger des pillages des autres groupes voisins. »

Notre Avis : Le cœur du Quartieri Spagnoli de Naples garde un secret, dans une cachette mystérieuse animée et défendue par une bande de jeunes enfants pleins de vie. La caméra des deux artistes de rue napolitains, Cyop&Kaf, se place à hauteur d’enfant, nous entraînant dans les aventures audacieuses des protagonistes à la recherche d’arbres abandonnés, traînés avec difficulté dans les rues de la ville. Par un regard immersif et sans jugement, nous explorons un microcosme, celui des quartiers populaires de Naples, et découvrons une dimension surréaliste de l’enfance faite de bandes de jeunes irrévérencieux, d’un sens de la loyauté envers le groupe, de promenades téméraires en mobylette, de dangereuses poursuites nocturnes dans les ruelles, toujours défendant les arbres « conquis » légalement ou illégalement. La tension du final apportera du sens à cet univers apparemment dénué de logique : celui d’une réappropriation de l’espace urbain.