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La Liberté — L’anti-Netflix du documentaire

23 octobre 2020

Créée en 2016, la plateforme de vidéos Tënk se focalise sur des films d’auteur singuliers

Une plateforme de vidéos à la demande, qui propose une sélection de films documentaires d’auteur européens, choisie par une équipe de passionnés organisée sous forme de petite coopérative… La formule est originale. Elle a aussi le mérite de trancher avec le robinet à images de la multinationale californienne Netflix, où coule en flot continu des productions essentiellement anglophones, formatées à la sauce américaine: Tënk est aux antipodes des mégaproductions TV.

L’aventure remonte à 1989 avec la création d’un festival professionnel à Lussas, petite commune située en Ardèche: les Etats généraux du film documentaire, qui depuis sa première édition accueille chaque été au mois d’août un public d’abord modeste, puis de plus en plus nombreux. A Lussas, s’ajoute au fil des ans une école de cinéma, des studios de postproduction, puis de multiples partenariats avec d’autres manifestations et institutions, suisses notamment, comme le Festival Visions du réel (Nyon).

Offrir une visibilité

Tënk voit le jour en 2016, avec pour objectif de rendre accessible au plus grand nombre des films de création, peu visibles en dehors des festivals dédiés et peinant à se frayer un chemin jusqu’aux salles de cinéma. La plateforme propose de nouveaux documentaires toutes les semaines, avec diverses formules d’abonnement, régulier (6 euros par mois, 60 euros par an, 2 euros pour la location d’un film) ou à l’essai (1 euro symbolique), le tout disponible en France, mais aussi en Suisse, en Belgique et au Luxembourg. La période de confinement du printemps 2020, pour cause de pandémie, lui a valu de dépasser le cap des 10 000 abonnés. Un succès encourageant, mais encore très relatif.

Or, prendre un abonnement, c’est non seulement s’offrir l’accès à une filmothèque pointue réunissant des centaines de titres et d’histoires singulières du réel, mais c’est aussi «investir dans la production de films», rappelle Jean-Marie Barbe, cofondateur des Etats généraux du film documentaire et président de Tënk. Ce type de soutien participatif à de nouveaux projets de films d’auteur est devenu d’autant plus nécessaire qu’en France, «le documentaire de création a été lâché par la télévision depuis le début des années 2000», explique Jean-Marie Barbe. La situation est aussi délicate en Suisse. De nombreux réalisateurs de talent peinent à mettre en valeur leur travail, que ce soit au niveau de l’aide à la réalisation et à la production ou au niveau de la diffusion.

Des noms connus

Sur Tënk, on retrouvera quelques noms bien connus: Raymond Depardon, Chris Marker, Nicolas Philibert, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Jaqueline Veuve, Richard Dindo… ainsi que des films plus contemporains des réalisateurs suisses Jean-Stéphane Bron, Luc Peter ou Stéphane Goël, ainsi que des films d’étudiants, grâce à une collaboration avec la Haute Ecole d’art et de design (HEAD, Genève).

Certaines œuvres ont été primées lors de différents festivals, comme El Año del Descubrimiento (L’année de la découverte). Cette réalisation helvético-espagnole de Luis Lopez Carrasco, distinguée cette année par le Grand Prix à la 42e édition du Cinéma du réel à Paris, raconte le désarroi et les rêves de la jeune génération face à une Espagne qui se veut «moderne et dynamique», mais reste frappée par la crise industrielle, le chômage et la répression de mouvements sociaux. Dernière Pêche (2017) nous interpelle sur notre rapport à l’espace, dans le nord de la France, au pied de la plus grande centrale nucléaire d’Europe de l’Ouest: où sommes-nous vraiment? Le réalisateur Baptiste Janon, installé à Fribourg depuis 2013, aborde ces questions avec délicatesse.

Une large palette

Avec diverses plages de sélection, les programmateurs de la plateforme ont misé sur une large offre, ouverte aux arts, aux grands espaces et aux imaginaires. On y déniche même Rude Boy, une docu-fiction des années 1980, racontant l’histoire d’un jeune Anglais s’ennuyant ferme sur son lieu de travail, un sex-shop de Soho, avant d’être engagé sur la tournée de son groupe favori, The Clash.

Les curieux pourront aussi dans un premier temps surfer librement sur les bandes-annonces, pour juger sur pièce et faire leur choix, libéré des algorithmes. Un regret, toutefois: depuis quelque temps, beaucoup de titres alléchants figurant comme têtes de gondole sont en fait accessibles moyennant un (modeste) paiement supplémentaire voire, ne sont plus disponibles. Cette tendance s’est hélas accentuée ces derniers temps, regrette en Suisse un connaisseur. Elle traduirait les tensions existantes sur le marché concernant les droits de diffusion mais aussi, le choix de la direction d’aller vers le «tout payant», pour faire face à certaines difficultés financières. Une politique contestée par certains réalisateurs et cinéphiles.

 

Article de Gilles Labarthe