Avant toute chose, je dois dire ma saine colère haut et fort, concernant « Une fille de Ouessant ». Mais enfin, les apostrophes, c’est pour les chiens ? « Une fille d’Ouessant » eût été un titre plus judicieux. Oui, je suis un peu rigide en orthotypographie. Mais passons. Ce film est à voir sur Tënk, plateforme de documentaires disponible sur abonnement. Grâce à un partenariat avec France Inter, il est disponible gratuitement jusqu’au 2 septembre.
L’île d’Ouessant. Un paradis situé tout au bout de la Bretagne. Eléonore Saintagnan, la réalisatrice, a passé plusieurs mois de résidence artistique dans le Sémaphore du Créac’h. Elle s’est plongée dans les archives de cette île du Finistère : elle y a trouvé des images de vie quotidienne. On voit que l’île, au début du vingtième siècle, était habitée presque exclusivement par des femmes. Les hommes étaient occupés en mer. La documentariste a eu une idée formidable : elle s’y est installée, à la première personne. Un peu comme un jeu d’enfant : on dirait que je vivrais ici…
Oui, Barba. Comme moi. Mais je vous jure que c’est une coïncidence ! Je ne connais pas cette cinéaste, elle n’est pas de ma famille. Elle a choisi ce nom pour son personnage à mi-chemin entre documentaire et fiction. C’est vrai que c’est un joli nom. Elle plaque son récit sur ces images en noir et blanc, des femmes en train de filer la laine par exemple, et soudain l’archive nous raconte vraiment une histoire, elle prend corps. Ces anonymes dans les archives deviennent des personnages.
Un jour, le bateau du père de Barba s’abîme en mer. On retrouve le bateau, mais pas la dépouille du marin. Barba devient sémaphoriste, elle scrute l’horizon mais ne voit rien venir. Elle ne voit rien venir, et sa sœur s’appelle Anne. L’humour affleure, discrètement, et donne la main au lyrisme. Comment faire son deuil dans ces conditions, quand on continue à espérer ? Ce que la mer te prend, réalise-t-elle, elle te le rendra sous une autre forme. La caméra s’attarde sur le ballet des oiseaux dans le vent et sur les immenses rochers d’Ouessant. On y distingue des formes, des visages.
Eléonore Saintagnan a mêlé les archives à des images qu’elle a tournées elle-même, notamment depuis le phare. Le résultat ressemble à un conte documentaire. On se dit que c’est le meilleur des confinements : face à la mer, dans un sémaphore au bout du Finistère. Il règne sur ce petit film, qui dure une demi-heure, une très douce et charmante mélancolie iodée. Vous l’aurez compris, je suis parvenue à passer outre l’absence tragique d’apostrophe.