Le blog de Tënk > Revue de presse

France Inter — Documentaire : les panneaux marrons sur l’autoroute, c’est la France !

5 mars 2020

On n’a pas le temps de les regarder en détail, à 130 km/h, mais on les connait tous : ils signalent un village, une église, une spécialité culinaire ou une race de vache. Un documentaire ausculte ces panneaux marrons et ce qu’ils disent du territoire. À voir gratuitement sur Tënk, en partenariat avec France Inter.

Partons en promenade sur l’autoroute, si vous le voulez bien, pour regarder les panneaux marron. Je sais que je ne suis pas la seule à être intriguée par ces immenses panneaux qui jalonnent les autoroutes de France. Ils sont tous de la même couleur tristounette, marron ou crème. Ils vantent un village, un fromage, un château, une race de vache, une cathédrale, un musée, etc. Ils offrent une fenêtre ouverte sur la région qu’on traverse sans la voir. Seb Coupy leur a consacré un documentaire singulier, à la fois charmant, léger et puissant : « L’image qu’on s’en fait » est à voir gratuitement sur la plateforme Tënk, jusqu’au 12 mars 2020, en partenariat avec France Inter.

 

Le Pithiviers de la discorde

Le premier mérite de ce film, c’est de nous montrer ces fameux panneaux ! On les voit vraiment, pour une fois, on ne se contente pas de passer devant à 130 kilomètres heure. On constate qu’ils sont parfois atrocement moches, mais pas toujours. Celui de Pithiviers, par exemple, sur l’A19, est très joli : un coquelicot au premier plan, l’église derrière, et au milieu un champ de blé, emblématique de la Beauce. Sauf que ce panneau, justement, ne plait pas à tout le monde ! Car Pithiviers, c’est avant tout un gâteau à l’amande. La confrérie du Pithiviers est très mécontente, on l’apprend dans ce film, de ne pas voir la pâtisserie sur le visuel.

Mais au fait, comment ces images sont-elles choisies ? En faisant des réunions, pardi ! Nous voici en Haute-Loire, pour décider de la pancarte consacrée au Mont Mouchet, qui fut un haut lieu de la Résistance et abrite aujourd’hui un musée. L’illustrateur rencontre les décideurs :

Ce qui chagrine le Conseil Général, c’est qu’on ait l’impression d’emmener les gens sur un champ de bataille. Et le bison? Non, ça va pas, le bison.

Voilà à quoi tient la présence d’un pauvre animal sur une pancarte. Pourtant, non loin du musée qui rend hommage aux maquisards auvergnats, à Sainte-Eulalie-en-Margeride, il y a une réserve de bisons. Tant pis pour les bisons. Comment voulez-vous résumer un territoire, un patrimoine local, en une seule image ? 

Être d’ici ou d’ailleurs

Ces panneaux sont censés donner aux automobilistes des envies de visite. Or le tourisme est une mine de poésie, pour qui sait bien le regarder. Si vous aimez le travail de Martin Parr, célèbre photographe britannique, vous aimerez sans doute ce documentaire. On y trouve la même ironie bienveillante, la même fascination amusée pour les touristes.

Au-delà de la boutade, ces panneaux d’autoroutes permettent de s’interroger sur le lien entre un territoire et ses habitants. C’est là que le film, sans aucune voix off, devient très touchant. Seb Coupy est allé tendre son micro à des gens, partout en France, et la discussion autour du panneau marron près de chez eux glisse assez vite sur le sentiment d’appartenance ou non à leur ville, à leur région, à leur pays. Ces images au bord de l’autoroute, comme les pièces d’un puzzle, sont censés fabriquer l’image de la France, voire son identité. Certains s’y reconnaissent, s’y retrouvent, et d’autres pas. A ce titre, le passage par Alésia est passionnant, qui permet d’ausculter cette expression piégeuse : « nos ancêtres les Gaulois ». Et ce n’est pas pour rien que l’on passe aussi par Calais, où échouent tant de déracinés. On fait un détour, avant cela par Carcassonne, Gacé, Mourenx, Nice ou encore Paris. Ce documentaire pose une question à la fois toute simple et vertigineuse : ça veut dire quoi, être de quelque part ? « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part », chantait Brassens.

« L’image qu’on s’en fait ». Documentaire de Seb Coupy (1h15), à voir gratuitement sur le site de Tënk jusqu’au 12 mars 2020, grâce à un partenariat France Inter.