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Focus documentaire : Berlin, ville populaire

3 juin 2021

Loin des grandes avenues de la capitale allemande, ce focus documentaire composé de 4 films donne à voir une ville en perpétuel bouleversement. Dans un balais de grues et de tractopelles ces films mettent en lumière, avant comme après la chute du Mur, les aspirations “normales” de ces habitant.e.s dans une villes qui à l’instar d’autres capitales européennes voit s’opérer un phénomène de gentrification.

Für Frauen – 1. Kapitel

Réalisé par Cristina Perincioli – 29 minutes, 1971

Bande Annonce : https://vimeo.com/558562197/b94284548f

Le résumé : À travail égal, salaire égal ! Quatre employées d’un supermarché de Berlin-Ouest, qui ressentent une forte pression au travail et à la maison, se mettent en grève pour réclamer le même salaire que leur collègue masculin. Le groupe Ton Steine Scherben chante en chœur que “Tout change si on le change / Mais on ne peut pas gagner tant qu’on est seul !”. Avec un casting non-professionnel, le film répond à l’exigence de solidarité qu’il prône – “ce film a été fait par des vendeuses et des femmes au foyer. Elles ont imaginé l’histoire et joué elles-mêmes. Les étudiants en cinéma les ont aidées”.

Notre avis : Un film de fin d’études, devenu une œuvre importante du cinéma féministe allemand des années 70 : Cristina Perincioli réalise une pièce didactique lumineuse, avec le but radical de remettre en question l’ordre du travail et celui du genre. Le machisme et le patriarcat qui règnent au travail sont balayés par une prise de conscience de femmes qui se transforme en prise de pouvoir. Ce même travail politique s’accomplit dans la réalisation du film : une équipe d’étudiantes en cinéma évite les pièges du film militant classique qui parle toujours à la place des opprimé·e·s. Elles écrivent le scénario avec les ouvrières, qui deviennent ainsi protagonistes de leur révolte et émancipation. Un film utopique qui montre la modifiabilité des structures sociales et économiques comme une pratique collective.

 

Etwas Neues

Réalisé par Léo Guinet – 17 minutes, 2019

Bande Annonce : https://vimeo.com/558565900/25ab45562c

Le résumé : Un apprenti cinéaste rencontre une femme à Berlin et évoque un précédent voyage dans cette ville à la suite d’une grave maladie. De ce parcours intérieur émergent les moments et les visages qui l’ont aidé à revenir à la vie. Les images surgissent comme des bribes de souvenirs dans cette expérimentation intime tournée sur le vif en Super 8.

Notre avis :

“Tu m’es apparue un jour sous les pommiers
en âge désormais de rouler tes cheveux
et je te revois ainsi, fleur parmi les fleurs
fleurs du peigne piqué devant ta frange.
Tu as tendu gentiment une main blanche
pour m’offrir la pomme que tu avais cueillie
et dans ce beau fruit rouge d’automne rouge pâle
mon premier amour a vu le jour, c’était toi.
[…]
Sous les arbres dans le verger aux pommiers
à notre passage s’est formé un sentier.
Qui de ses pas est l’auteur de ce souvenir ?
Amoureusement, sur cette question posée…”
(“Premier amour”, Tōson Shimazaki. Traduction de Claire Dodane)

Le ravissement d’un pommier en fleurs. Le retour au monde par l’amour. La forme changeante d’une ville. Les couleurs et les lumières des saisons, des heures, des visages.
Le film devient ainsi cet évanescent sentier sentimental, par le verger de la mémoire où deux personnes se sont connues.”

 

Si c’est ça le destin

Réalisé par Helga Reidemeister – 1980, 116 minutes

Bande Annonce : https://vimeo.com/558566448/ead04e4a77

Le résumé : Irene Rakowitz, 48 ans, divorcée, est mère de quatre enfants. Dépendante d’une allocation pour handicapés, elle vit avec les deux plus jeunes dans la cité HLM du Märkisches Viertel de Berlin-Ouest ; son ex-mari, un ancien mineur, habite le même immeuble. La discussion au sujet de son influence sur les enfants est des plus animées ; les insultes fusent. Les filles aînées traitent leur mère de “cinglée” ; le ton monte facilement. Avec un franc-parler détonant, Irene Rakowitz revient sur les raisons de la décomposition de sa famille, tout en exprimant, parfois avec véhémence, ses propres revendications face à la caméra mais aussi pendant le processus de montage auquel la réalisatrice l’associe tout le long.

Notre avis : En Allemagne, les ingérences assumées et la position adoptée par la cinéaste qui revendique de faire des films avec et non sur les gens clive et déclenche des débats soutenus. En France, Marguerite Duras écrit à propos de “Si c’est ça le destin”: “Tout ce qui arrive à cette femme est courant (…) volonté d’aimer, inaptitude tragique à exprimer cet amour, le tout plongé dans une nuit, dans un silence quasi total. Cela se passe dans l’épaisseur allemande, dans ce prolétariat mal venu de l’Allemagne d’après-guerre. Ce que je veux dire, c’est que rien n’arrive dans ce film excepté le cinéma, l’explosion fabuleuse de ce silence grâce à la caméra, la traduction, par cette femme, Irene, de ce silence en un langage qui n’est jamais concerté, qui est découvert sous la caméra, comme on dirait sous l’effet d’une drogue – on dit ici sous l’effet de la prise de vue et sous l’effet de la prise de son”.

 

Éclairage de fond

Réalisé par Helga Reidemeister – 1998, 96 minutes

Bande Annonce : https://vimeo.com/558566156/9e4c14263f

Le résumé : Quelques années après la chute du mur. Berlin s’apprête à reprendre ses fonctions de capitale. La ville est en pleine mutation, bouleversant en même temps la vie de ses habitants. Robert Paris, jeune photographe, le vit comme une rupture. Il doit faire face à un avenir incertain et inquiétant. Il se sent comme un étranger dans ce qui était auparavant sa ville. Quelle est désormais sa place dans cette société – dont il ne veut pas adopter les règles – comme il refusait déjà celles de l’ancienne RDA ? Dans sa quête, Robert se retrouve très loin, en Inde. De retour à Berlin, il développe à nouveau des photos – pour la première fois depuis des années.

Notre avis : Fidèle à sa démarche d’accompagner ses protagonistes dans leur entourage social et familial, Helga Reidemeister intègre, cette fois, la ville. “Chantier de guerre”, c’est en ces mots qu’un grutier en parle, sur le terrain immense d’un nouveau quartier en construction. L’environnement familier est devenu un gigantesque chantier désormais soumis aux lois inexorables de la lucrativité. Les lieux conviviaux se raréfient. On se recycle tant bien que mal dans le néo-branché qui a envahi l’ancien Berlin-Est depuis la réunification. C’est dans les interstices, dans l’alternance entre les sublimes photographies que Robert avait prises de sa ville depuis les années 1980 et les images filmées des chantiers du Berlin des années 1990 finissantes que se font entendre paroles et interrogations de celles et ceux catapultés dans ce nouveau monde où dès lors “There is no alternative”.