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Election day — 4 films pour comprendre une Amérique fracturée

3 novembre 2020

Rupture de stock chez les armuriers, citoyens qui se barricadent chez eux. La situation est ubuesque, tragique. L’élection américaine prend des allures de point de non-retour, attisée par la personnalité de Donald Trump. Mais les plaies de la société américaine sont profondes. Peur de l’autre, ségrégation, capitalisme triomphant sont autant de maux que ces films racontent.

 

 

Dans cette sélection :

In Jackson Heights de Frederick Wiseman (2015, 190 minutes)

Wiseman est certainement – pour moi – le plus important cinéaste vivant, aujourd’hui… Chacun de ses films apporte une pièce supplémentaire au puzzle anthropologique qu’il construit depuis le début de sa carrière avec une pratique du cinématographe sans faille. Avec une apparente simplicité, facilité et une modestie qui lui permet de se glisser à la rencontre de tous, il nous livre ici le portrait d’un quartier Monde. À l’écoute de la parole publique de chacun, le documentaire nous permet de “regarder” pour “voir” vivre ce secteur du Queens à New York où les communautés font cause commune. À un moment où notre pays – la France – est agité par des forces contradictoires et violentes qui nous promettent la déchirure du tissu social, le film de Wiseman doucement, sans prétention, sans illusion, nous permet de réfléchir à comment mettre en commun les expériences de chacun, tout en apprenant la danse du ventre, et les quatre points cardinaux.

Programmé par Pierre Oscar Lévy, Réalisateur

The Interrupters de Steve James (2011, 125 minutes)

The Interrupters“, tourné en cinéma direct ponctué d‘entretiens passionnants retrace le travail volontaire d’anciens détenus ou délinquants qui se sont associés pour tenter d’enrayer la violence dans les ghettos noirs de Chicago. De réunion en interventions ils affrontent la fureur qui s’exerce à l’intérieur des familles et des quartiers. À leur tête, une femme mariée à un Imam mène cette croisade avec beaucoup de force. Ses discussions avec une fille rebelle sont bouleversantes. C’est une leçon politique que d’entendre et de voir à l’œuvre ces “interrupters” qui, épuisés par leur propre expérience de prison et de misère parviennent à “faire quelque chose” dans leur communauté. C’est grâce à “Hoop Dreams” que Steve James obtient leur confiance et peut filmer ces moments de violence que ceux qu’il suit essayent de dénouer. Et l’on comprend que les meurtres, les coups visent les habitants eux-mêmes des quartiers noirs et jamais les blancs, ceux qui ont organisé la ségrégation et la pauvreté.

Programmé par Claire Simon, Réalisatrice

Broken Land de Luc Peter et Stéphanie Barbey 75 (2014, 75 minutes) – Disponible en location pour les abonné.e.s de Tënk

On n’a jamais autant peur que de ce que l’on ne voit pas.
Le parti pris génial de Luc Peter et Stéphanie Barbey – servi par l’image impeccable du grand Peter Mettler – est de ne jamais voir les migrants. Leur présence se réduit à des traces, ces quelques chaussures et effets personnels laissés au milieu du désert, ou à ces spectres verts enregistrés par des caméras infra-rouges. La menace migratoire se transforme dès lors en fantômes et donne à ce film une autre dimension : celle de questionner leur existence-même et ainsi la paranoïa de la société américaine mais aussi de notre époque. Comme dans un film de genre, la peur laisse le plus souvent la place aux armes, au racisme et à la violence sous toutes ces formes. Ici, il n’est donc pas seulement question de l’absurdité d’un mur entre les États-Unis et le Mexique. “Broken Land” nous parle de nos peurs mais aussi de notre capacité à accueillir l’autre, l’inconnu.

Programmé par Éva Tourrent, Responsable artistique de Tënk

Legends, The Living Art of Risqué de Marie Baronnet (2016, 25 minutes) – Disponible en location pour les abonné.e.s de Tënk

Pour la plupart issues de milieux défavorisés, échouant bien souvent à devenir actrices, ces femmes âgées aujourd’hui de 65 à 95 ans ont trouvé dans le striptease une échappatoire glorieuse loin des clichés sordides. Ces femmes à l’aura magique, au grand pouvoir de fascination, sont des Self-Made Women au caractère bien trempé. Comme le souligne la réalisatrice : “Ne nous y trompons pas. Chacune d’elles est un vrai entrepreneur du rêve américain. Elles ont conquis leur chair et leur indépendance, leur sexe et leur économie, et elles en ont payé le prix fort. C’est ce qui fait d’elles des Legends.
Pionnières dans leur domaine, tout autant que dans ceux de l’émancipation des femmes, de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle, elles rompent avec les normes d’une société patriarcale. L’intérêt du travail de Marie Baronnet est qu’il embrasse tout le genre féminin pour en révéler la diversité et les singularités à travers le striptease, raconté ici comme un “art à part entière”.

Programmé par Nicole Fernández Ferrer, Déléguée générale du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir avec l’aide d’Anne-Laure Berteau