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Escale “La Frontière passée”

15 février 2019

Nous vous invitons à regarder les 5 documentaires de notre Escale La Frontière passée consacrée à la migration, programmation portée par Pascal Privet.

Depuis 20 ans, la guerre et l’oppression des dictatures dans les pays du Moyen-Orient ou en Afrique ont jeté sur les routes de l’exil des millions de personnes. Ils y rencontrent d’autres clandestins qui ont décidé de quitter une vie qu’ils jugent misérable à l’aune de celle qu’ils imaginent dans un pays européen. Pour suivre leurs rêves, ils doivent braver les pires dangers. Les images des sauvetages en mer de grappes humaines accrochées à des canots bondés en sont un exemple malheureusement banal.

Figures récurrentes de l’actualité, les migrants ne sont visibles qu’en tant que multitude. L’arrivée en Europe de cette foule anonyme constitue pour l’opinion et les autorités politiques une crise capable de menacer l’équilibre et la tranquillité de la société. Leur présence provoque souvent de la méfiance et plus encore du rejet, malgré l’accueil que s’efforcent de leur procurer nombre d’associations et de citoyens. L’effet des migrations met au défi le fonctionnement de nos démocraties.

Cette Escale propose 5 documentaires de cinéastes ayant porté leur attention sur ce qu’il advient, une fois la frontière passée. Pour leurs auteurs, il s’agit de déplacer notre regard, de le préparer à des rencontres. Ils ont trouvé des perspectives inattendues pour nous faire ressentir comment les déplacements s’inscrivent dans la chair et l’esprit. Chacun de ces films est un geste fraternel envers ceux dont il raconte le destin.
La réunion de ces films déplace aussi notre regard dans le temps et l’espace. Elle nous permet de mesurer comment, à différentes époques, le même désir brûlant d’une vie meilleure a produit tant de départs. Les pays, d’où ces flots humains se sont autrefois écoulés vers d’autres horizons, sont devenus à leur tour une destination pour les migrants.

Des spectres hantent l’Europe est le plus récent de ces films. Au début, les images de Maria Kourkouta et Niki Giannari, vides de tout commentaire ou dialogue, nous mettent dans état de sidération. Puis doucement, elles nous obligent à regarder les détails du spectacle d’un camp de réfugiés parqués dans l’attente, et à entendre les voix qui s’élèvent dans le chaos. Les cinéastes se rapprochent finalement des êtres bloqués ici, alors que seules les marchandises continuent de passer la frontière. Le film nous amène ainsi à la compréhension d’une situation révoltante, créée au sein même de l’Europe par une décision politique.

C’est l’idée de la clandestinité qui inspire le film de Bijan Anquetil, La Nuit remue. Deux jeunes Afghans se réchauffent la nuit à la lueur fugace des flammes et au récit des leurs années de fuite obstinée vers on ne sait quel avenir. Depuis, nombre de Syriens ou de Kurdes les ont rejoint. Combien sont-ils dans nos rues, en quête d’asile, dans une situation incertaine ?

Les épreuves surmontées au cours du voyage clandestin peuvent être suivies par des souffrances bien plus cruelles, quand un système économique profite de la faiblesse des travailleurs dont il a besoin. Avec Quand les hommes pleurent, Yasmine Kassari réussit à donner une forme poétique au récit tragique de l’exploitation, qui brise les rêves mais pas le courage des hommes.

Au temps prospère des Trente Glorieuses, des milliers de travailleurs étrangers vivaient dans des bidonvilles insalubres, au pied même des immeubles neufs qu’ils avaient construits. Le militantisme généreux de Robert Bozzi lui avait inspiré un premier film à ce sujet. Mais il se reproche de n’avoir pas assez considéré les personnes filmées et 25 ans plus tard, entreprend un nouveau projet : Les Gens des Baraques. À partir des anciens photogrammes, sa persévérance l’emmènera dans un long et bouleversant voyage, à la recherche d’un nouveau-né dont il possède seulement l’image.

The Stone River enrobe son récit dans un dispositif d’une fascinante beauté. D’anciennes photos des carrières italiennes de Carrare se mêlent aux images de Barre en hiver. Nous voyons des visages muets tandis que les paroles des tailleurs de pierre racontent comment ils ont vécu leur rêve américain. Ce sont leurs descendants qui leur prêtent leur voix. Le film joue ainsi avec de troublantes correspondances, par dessus l’Atlantique et d’hier à aujourd’hui. Mais c’est finalement un personnage impitoyable, le granit, qui aura condamné au silence ces héros de la classe ouvrière.

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Cette programmation est soutenue par la Cinémathèque du documentaire.
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