Le blog de Tënk > Blog

Découvrez ou redécouvrez le cinéma de Pierre Creton

18 mars 2021

Au cœur du cinéma de Pierre Creton il y a avant tout la rencontre.

Avec des êtres, des lieux, des lectures, des événements et l’expérience singulière d’un homme, vivant parmi les vivants, décidé à être ensemble. Entre vivre et faire, les films se tissent. Agir, ressentir, désirer. Des films portés par le lyrisme et la sensualité du geste et du corps autant que de l’événement et de l’action. Ainsi l’articulation de la vie et de la pratique de cinéaste de Pierre Creton est au centre de son œuvre et de l’alchimie créatrice dont tous les films portent la trace. Elle est la matière de chaque film et en dicte la forme.

C’est avec beaucoup d’émotion qu’en revoyant les premiers films de Pierre, je reconnais des tentatives formelles, des principes narratifs, des images dont certaines s’affermiront tandis que d’autres alimenteront des variations récurrentes plus ou moins directes. Mais aussi de film en film entrer dans une intimité, un cercle d’amis bienveillants où chacun, chaque être vivant, veille sur l’autre et sur le monde alentour. Hommes, bêtes, falaises, routes et champs… On peut imaginer Pierre Creton comme un arpenteur de son territoire familier mais aussi d’un territoire cinématographique dont l’élargissement par cercles concentriques s’expérimente en découvrant l’intégralité des films du cinéaste.

Creton, arpenteur enraciné, a un acolyte, Vincent Barré ; Vincent est celui qui part, qui va loin, entraînant Pierre parfois avec lui, le moins souvent possible semble-t-il. Pour autant c’est à deux, dans leur échange des nouvelles du proche et du lointain mêlés, partage attentif d’un ici permanent, que le récit et la fiction du monde nous sont rendus.

Catherine Bizern

 

Secteur 545

De Pierre Creton (2004, 115 minutes)

Notre avis : « S’inscrire dans le film : Pierre Creton se filme dans son travail de peseur laitier, met en scène Jean-François son contrôleur, dont une amie de Pierre, sculptrice, réalise le buste, il interroge les éleveurs et leur demande de présenter leur chat à la caméra, digresse en s’attardant sur une fleur ou sur un personnage apparu, aussi vite disparu.
Inscrire en soi la matière du film : Pierre recueille, coulant du pis d’une vache dans la paume de sa main, le lait qui vient en irriguer les lignes tel le sang sillonnant les veines. Le lait provient d’un animal qui peut-être n’est plus regardé que pour sa fonction – être trait puis abattu. Enlacer la tête d’une vache dans ses bras, faire corps avec elle est un geste de fraternité, donc un acte politique.
Et en questionnant les éleveurs sur la différence entre homme et animal, en leur demandant qui ils sont, en nous demandant donc qui nous sommes, Pierre Creton interroge notre manière de nous inscrire dans le monde. »

Le résumé : Le « secteur 545 » désigne dans le pays de Caux les limites dans lesquelles Pierre Creton, peseur au contrôle laitier, exerce son activité auprès des éleveurs qui en font la demande. Par ailleurs cinéaste, Pierre Creton, occupant donc à la fois la place d’acteur et de témoin, enregistre les moments d’une vie rurale au plus loin de tous les clichés pittoresques. Sa familiarité, son attention et sa patience permettent qu’au milieu des vaches se glissent bien des interrogations. L’une d’entre elles, explicitement adressées aux éleveurs, sert de fil conducteur au film : entre l’homme et l’animal, quelle différence ?

La Vie après la mort

De Pierre Creton (2002, 22 minutes)

Notre avis : « Lorsque Pierre Creton convie un ami à faire un film avec lui, il lui demande de rentrer dans son jeu. Ce pourrait être une invite enfantine : on va s’amuser à faire un film. Avec Jean Lambert ils commencent par lire à voix haute tous les deux, en même temps, pour «  »la cacophonie » ».
Lorsque le jeu est cruellement interrompu par la mort, il s’agit de la repousser afin que le film se perpétue en entretien infini et que soit accordée à Jean la vie après la mort.
C’est ainsi que le film, loin d’être un tombeau pour Jean Lambert, lui est un refuge joyeux où déclamer Cioran, diriger le concert des vagues au pied des falaises, et se faire couper les cheveux par son ami réalisateur : s’en remettre à lui parce qu’il dirige le jeu, et qu’il décide comment et où couper (le plan). Sinon «  »vous perdrez votre temps, il n’y a que la poésie qui soit bien » », avait dit Jean à Pierre. »

Le résumé : « J’avais littéralement organisé ma rencontre avec Jean Lambert. Dès que j’ai connu cet homme, je me mettais à redouter sa mort. N’avait-il pas tenté de m’en prévenir : «  »Choisir un ami si vieux » ». En son absence, l’idée de sa disparition me revenait ; déjà vivant il me manquait. La nuit nous écoutions des javas jusqu’à ce que la peur se dissipe. Nous avons en tout cas bien ri devant la caméra toute seule, bêtement en train de nous filmer. Peut-être que la solitude était la chose que nous avions à partager, risiblement. » Pierre Creton

 

Maniquerville

de Pierre Creton  (2009, 87 minutes)

Notre avis : « Certains résidents du Centre de gérontologie de Maniquerville ont oublié depuis combien de temps ils sont là. Ils se souviennent pourtant fort bien de choses plus anciennes. Ils savent aussi combien il leur sera difficile de ne plus voir les arbres du grand parc entourant le château, de ne plus voir le temps passer entre les jeunes bourgeons et les feuilles mortes, lorsque le château deviendra centre pour touristes et qu’à Fécamp on les aura logés en ville.
Ils sont dans un entre-deux-mondes, entre nature et ville, entre quiétude et départ. Avec Françoise, lectrice à la recherche du temps perdu, ils voguent comme Proust dans le va-et-vient des promenades temporelles, entre présent engourdi et souvenirs ravivés par les questions de Clara l’animatrice, et sont fixés pour toujours par Pierre dans son film : chacun à sa manière leur aura offert un moment de temps retrouvé. »

Le résumé : La comédienne Françoise Lebrun vient régulièrement au centre de gérontologie de Maniquerville faire des lectures de Proust aux pensionnaires. C’est l’occasion pour eux d’évoquer ensemble la mémoire d’un temps perdu. Un lien fort s’instaure entre Françoise et Clara, animatrice au centre.